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péché originel. Le père de Burns, si pieux, inclinait vers les doctrines libérales et humaines, et diminuait la part de la foi pour augmenter celle de la raison. Burns, selon sa coutume, poussa les choses à bout, se trouva déiste, ne vit en Jésus-Christ qu’un homme inspiré, réduisit la religion au sentiment intime et poétique, et poursuivit de ses railleries les orthodoxes payés et patentés. Depuis Voltaire, personne en matière religieuse n’a été plus bouffon et plus mordant. En somme, selon lui, les ministres sont des marchands qui tâchent de se filouter leurs chalands, crient du haut de leur tête contre l’échoppe du concurrent, célèbrent leurs drogues à grand renfort d’affiches, et ouvrent çà et là des foires pour activer la consommation. « Ces foires sacrées » sont les assemblées de piété où l’on confère les sacremens. Tour à tour ils prêchent et tonnent, surtout le révérend Moodie, qui se démène et qui écume pour éclaircir les points de la foi : figure terrible ! « Si Satan, comme aux anciens jours, se présentait ici parmi les fils de Dieu, cette vue suffirait pour le renvoyer chez lui plein d’effroi. » — « Comme sa voix ronfle, et comme il cogne ! Comme il tape du pied et comme il saute ! Son menton allongé, son nez tourné en l’air, ses glapissemens, ses gestes sauvages, échauffent les cœurs dévots, à la façon des emplâtres de cantharides. » — Il s’enroue, et on se repose, l’assemblée mange, chacun tire du sac les gâteaux, le fromage ; les jeunes gens ont le bras autour de la taille de leurs belles ; ils étaient bien ainsi pour écouter. Grand tapage à l’auberge ; les canettes tintent sur la table ; le whiskey coule et fournit des argumens aux buveurs qui commentent le sermon ; on écrase la raison charnelle, on exalte la foi gratuite : argumens et piétinemens, voix des vendeurs et des buveurs, tout se mêle ; c’est une kermesse théologique. « Mais voilà que la propre trompette du Seigneur résonne tant que les collines en mugissent. C’est Russell le Noir, il ne s’épargne pas. Ses perçantes paroles, comme une épée des highlands, tranchent les membres jusqu’à la moelle. Il parle de l’enfer, où habitent les diables, un large puits sans fond, sans bornes, tout rempli de soufre enflammé, où la flamme furieuse, la chaleur dévorante fondraient la plus dure pierre à aiguiser ; les ouailles, demi-assoupies, sursautent avec effroi, croyant entendre l’abîme mugir, et découvrent que c’est quelque voisin qui ronfle. » Enfin on se sépare. « Combien de pécheurs et de fillettes convertis par cette journée ! Les cœurs de pierre se sont fondus, les voilà devenus aussi tendres que de la chair. Les uns sont pleins d’amour divin, les autres sont pleins d’eau-de-vie. Les jeunes gens ont pris rendez-vous avec les filles, et le diable a fait ses affaires encore mieux que le bon Dieu. Belle cérémonie et morale ! gardons-la précieusement, et aussi