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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/462

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avait été provoquée par une agitation universelle, et les ordonnances du 25 juillet auraient à coup sûr soulevé dans les départemens des résistances sans nombre, lors même que la lutte ne se fût point engagée au centre du royaume. La révolution du 24 février au contraire a été exclusivement parisienne : c’est là son caractère particulier entre toutes les autres. Nous n’aurons donc plus à nous occuper que du peuple de Paris, en attendant le moment où le peuple français reparaîtra sur la scène pour prendre sa revanche à son tour et à sa manière.

Le banquet du Château-Rouge, auquel s’étaient assis douze cents convives, avait révélé la puissance de la machine de guerre que l’opposition se mit en mesure d’employer au début de la session de 1848. Le cabinet, ayant omis de faire fixer par les tribunaux durant l’absence des chambres la question de légalité soulevée par le droit de réunion, dut résoudre la question de fait sous sa seule responsabilité, à l’instant même où Paris recevait le contre-coup des débats les plus passionnés, quoique les plus vides, qu’ait vus la tribune française. Les conséquences d’une pareille crise préoccupaient également le ministère, chargé de maintenir l’ordre public, et l’opposition, qui se tenait pour assurée de lui succéder bientôt aux affaires. Si celui-là s’inquiétait des périls du jour, celle-ci commençait à n’être pas indifférente aux embarras du lendemain ; aussi se montrait-on, de part et d’autre, de bonne composition pour provoquer et pour attendre sans désordre un arrêt de la cour de cassation. Si loyaux cependant que fussent les hommes principaux de l’opposition dans leurs pourparlers avec les délégués du ministère, ils avaient le malheur, habituel aux chefs de parti, de suivre au lieu de conduire. Derrière les députés venaient les journalistes ; derrière les journalistes venaient les membres du comité central chargé de l’organisation du banquet. Le Constitutionnel était poussé par le National, le National était distancé par la Réforme, et derrière ces lutteurs en plein soleil se cachaient dans l’ombre les rares débris des sociétés secrètes, petit groupe dont l’aveuglement fanatique fit la force, parce qu’à l’heure décisive il put opposer à des cœurs tout vacillans d’incertitudes et d’angoisses un plan préconçu et une volonté indomptable.

L’accord passé entre d’honorables délégués des deux côtés de la chambre, afin de faire vider sans collision la question de droit, s’étant trouvé abrogé par une proclamation insensée émanée des organisateurs du banquet, le sort de la fatale journée du 22 février fut remis au hasard des événemens ! Si la force était appelée à décider, le résultat semblait ne pouvoir être douteux. Les grands corps de l’état étaient unanimes dans leur concours ; derrière le cabinet apparaissait la royauté, qui se déclarait résolue à résister à tout