Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Arago réservaient le droit de la France, et qu’avec sa bonhomie révolutionnaire M. Dupont (de l’Eure) se refusait, disait-il, à statuer à Paris pour les citoyens de Carpentras, les sectateurs de l’idée, les théoriciens de la souveraineté du but, déclaraient que « la république étant la seule forme vraie de la démocratie, la nation ne pouvait y renoncer sans violer son premier devoir, » ajoutant d’ailleurs « qu’une telle renonciation étant nulle en soi, il ne fallait pas que, par respect pour une liberté stérile et périlleuse, le gouvernement sorti de la victoire du peuple s’exposât à lui fournir l’occasion d’un crime à commettre contre lui-même[1]. »

Si une pareille doctrine était sauvage, elle était du moins politique. Les esprits droits pouvaient pressentir en effet que la seule manière de faire accepter le gouvernement républicain à la nation serait de l’imposer ou par la force ou par la pression de circonstances parfois plus impérieuses que la force même. Il n’était pas impossible d’admettre, au lendemain de la révolution de février, que les classes éclairées pussent accueillir la république, et s’y établir comme sur un terrain neutre, par suite des ressentimens que les divers partis entretenaient l’un contre l’autre ; mais, incapables de tels calculs, les masses étaient hors d’état de s’imposer de pareils sacrifices, et l’on aurait pu déjà pressentir qu’elles useraient bientôt des droits qui leur seraient reconnus pour faire prévaloir et leurs répugnances séculaires et leurs indomptables instincts.

Du reste, la majorité du gouvernement provisoire eut l’honneur, sans le péril, de ces hésitations consciencieuses. Elle céda devant l’imminence du danger sur la question de la proclamation de la république sans attendre l’expression du vœu national. Une rédaction équivoque ne tarda pas à mettre d’accord les deux opinions, et la république se trouva présentée dans tous les actes du pouvoir, plus spécialement dans les circulaires et les bulletins émanés du ministère de l’intérieur, comme le gouvernement définitif de la France. Au mois d’avril, la nation fut convoquée non plus pour statuer sur le principe de ce gouvernement, mais pour travailler à le constituer, et des commissaires, fort résolus à ne pas laisser discuter le pouvoir dont ils étaient l’émanation, s’abattirent sur les départemens avec la mission singulière d’y découvrir des républicains de la veille.

Entre les actes nombreux qui signalèrent cette dictature, les uns furent accomplis par les membres du gouvernement provisoire dans la plénitude de leur liberté morale, les autres furent provoqués par la pression qu’exerçait sur des hommes placés entre le Capitole et la roche Tarpéienne la force aveugle au nom de laquelle ils prétendaient

  1. Discours de MM. Ledru-Rollin et Louis Blanc dans la séance de l’Hôtel de Ville du 24 février (Histoire de M. Garnier-Pagès, t. V, p. 339).