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l’évanouissement de la principauté pontificale. La marche des événemens ayant donné ce grand problème à résoudre à notre époque, il y aurait, pour ceux qui sont convaincus de la nécessité de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, et qui croient à la vertu de la liberté, une véritable lâcheté d’âme à reculer devant la difficulté de la solution ou à l’éluder ; mais il serait puéril de se dissimuler qu’ils sont bien rares en France, dans le clergé et parmi les catholiques, ceux qui accepteraient sans trouble, sans répugnance, sans résistance, une révolution aussi profonde que celle qui serait accomplie dans les relations de l’état avec l’église par notre départ de Rome, entraînant la chute du pouvoir temporel.

De là la gravité de la question romaine comme question intérieure en France. Elle est pour les catholiques, dont la masse n’en voit pas clairement les conséquences, un sujet de violente inquiétude ; elle met les catholiques qu’elle enrôle autour de la pire des légitimités, le droit divin théocratique, aux prises avec tous ceux qui n’ont point oublié ou renié les principes de la révolution française sur les droits des peuples. Il faut avouer d’ailleurs que les catholiques les plus éclairés sont peu encouragés par la situation politique de la France à croire à la promesse de l’église libre dans l’état libre. Il faut reconnaître en outre que, parmi ceux qui réclament la cessation de notre occupation romaine, il en est peu qui ont l’air de se douter qu’il y ait lieu de demander au gouvernement, comme conséquence nécessaire d’un tel acte, un prompt développement de nos libertés. La plupart au contraire, aveuglés d’une passion irréligieuse, ne prennent pas garde que, le jour où le pape cesserait d’être un souverain, nous aurions contracté envers les catholiques, comme une dette sacrée, l’obligation de leur donner en libertés politiques l’équivalent du pouvoir temporel ; ils ne prennent pas garde que la pire des tyrannies serait celle qui opprimerait les consciences et persécuterait le sentiment religieux.

Voilà, dans l’antagonisme imposant de ses termes, le problème de la situation présente. Cette question romaine est française au premier chef ; elle est pour ainsi dire l’expression suprême du duel d’idées, de systèmes, de principes qui divise la France depuis quatre-vingts ans. C’est au plus haut degré la révolution française en face de la forme la plus absolue des gouvernemens de droit divin. — Périsse une nation, pourvu que survive le pouvoir temporel des papes ! dit le dernier écho de l’ancien régime. — Que le pouvoir temporel, instrument matériel d’une foi religieuse, cède aux droits d’un peuple ! que le catholicisme renonce aux privilèges politiques et reconnaisse que, comme toutes les autres croyances religieuses, il n’a droit qu’à l’égalité dans la liberté ! s’écrie le génie de la révolution française. — Qui sera juge du camp entre de tels adversaires ? Qui décidera de la victoire entre eux ? D’arbitre souverain, de juge en dernier ressort, nous n’en voyons qu’un seul qui soit suffisant, qui soit légitime, dont l’arrêt puisse être efficace : c’est la France elle-même, c’est la nation. C’est pour cela