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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/490

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En face de ces ouvrages au moins imprudens, ils comprendront que les brutalités du style n’en font pas la force, que la naïveté qui s’affiche devient une grimace ou un mensonge, et qu’en matière d’art la vérité elle-même cesse de paraître telle lorsqu’elle n’est plus qu’une vérité d’exception et d’accident.

En modelant la statue de l’archevêque de Paris, M. Debay n’avait à craindre ni ces exagérations ni ces pauvretés pittoresques. Sans parler du goût personnel de l’artiste et des habitudes judicieuses qui caractérisent son talent, le programme qu’il s’agissait de remplir était assez fécond en soi, assez noble dans les termes, pour exclure tout recours aux vieilles conventions académiques aussi bien qu’aux exemples, plus naturalistes que de raison, donnés par quelque moderne Valentin de la statuaire. La taille régulièrement proportionnée du modèle, les traits de son visage, sans beauté proprement dite, mais non sans charme et sans grâce virile, la forme simple, les lignes aisément souples du costume, — tout, à ne parler que des élémens extérieurs du travail, venait ici en aide au sculpteur, et ne pouvait manquer d’encourager sa main. Suit-il de là qu’un autre eût aussi sûrement que lui tiré parti de ces ressources ? La besogne était-elle si facile qu’il suffît, pour rencontrer l’expression juste, de la chercher dans l’assemblage fortuit de ces élémens une fois donnés ? Rien, ne serait moins exact qu’une pareille conclusion. La valeur particulière de l’œuvre de M. Debay résulte des circonstances mêmes qui en ont précédé l’achèvement, puisque c’est à la suite d’un concours où figurait l’esquisse de cette œuvre que l’artiste a été choisi de préférence à ses rivaux. Et d’un autre côté, si l’exécution matérielle exigeait peu d’efforts en raison des ressources offertes, d’où vient qu’avant d’aborder le marbre M. Debay ait consacré environ dix années à retoucher son modèle en terre, à le bouleverser plusieurs fois de fond en comble, à le recommencer sur place, dans cette humide chapelle où il a, dit-on, laissé sa santé ? Nous ne prétendons emprunter ni à cette ténacité, ni à cette courageuse lenteur, un argument plus décisif qu’il ne convient : nous savons que, dans le domaine des arts comme dans celui des lettres, l’estime où il faut tenir un ouvrage ne se mesure pas aux efforts de patience qu’il a pu coûter ; mais lorsqu’au mérite même du travail s’ajoutent des souvenirs honorables pour celui qui l’a mené à fin, lorsqu’un homme en quête du vrai et du beau sacrifie à cette recherche tout ce qu’il peut donner de ses facultés et de ses forces, il y a là pour les artistes une leçon, pour tout le monde un exemple de désintéressement et de loyauté qu’il n’est pas inutile de noter, du moins en passant.

La composition d’un monument à la mémoire de Mgr Affre laissait le choix entre deux partis également autorisés par la religion et par l’art, également conformes au caractère et à l’esprit du sujet. Fallait-il faire de ce monument une sorte de châsse sous laquelle le corps du martyr, solennellement proposé à la vénération des fidèles, apparaîtrait dans la calme majesté de la mort, dans l’appareil et l’opulence officielle de la dignité épiscopale ? ou bien, au lieu de ce repos déjà conquis et de cette pompe du lendemain, devait-on exprimer le moment de l’action et la lutte même, représenter l’apôtre avant sa canonisation, pour ainsi dire, et nous montrer