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des citations pédantesques, ni ce culte du présent jusqu’au fétichisme. Objectera-t-on contre le mérite de l’œuvre les élémens exceptionnellement favorables qu’elle comportait et ce que nous avons dit nous-même des ressources fournies ici par le sujet, par le costume ? Nous reconnaissons de nouveau et nous estimons à son prix l’utilité de pareils secours. Certes il était moins malaisé d’ajuster à souhait les plis d’une robe et d’un manteau que les maigres plis d’un pantalon et d’un habit. Il eût été autrement méritoire, je le veux, de trouver les secrets du beau dans les arides contours d’un uniforme ou de nous émouvoir en traitant un sujet moins bien pourvu que celui-ci de signification pathétique et d’autorité. C’est quelque chose pourtant, c’est beaucoup que d’avoir réussi à nous rendre fidèlement cette noble scène, et, traduction pour traduction, mieux vaut après tout l’art, relativement peu coûteux, de conserver à un texte sa richesse propre et son éloquence naturelle que l’effort, même habile, pour en déguiser l’indigence sous les périphrases ou sous les ornemens d’emprunt.


HENRI DELABORDE.


REVUE LITTERAIRE.

Que nous sommes loin de la superbe confiance qui animait la génération de 1830 ! Heureuse époque où l’on croyait en soi-même ! Et certes, s’il ne suffit pas de cette croyance pour créer de belles choses, elle est du moins un élément nécessaire du travail, une condition du succès. Heureuse époque où l’on ne croyait si bien en soi-même que parce que l’on croyait également aux autres ! Un idéal commun emportait vers le même but, par des chemins divers, tout ce monde de poètes, d’historiens, de philosophes. Le succès d’un rival était la garantie de votre propre succès. Toutes les gloires participaient l’une à l’autre : c’est qu’elles avaient alors un point de départ commun, les espérances et les besoins de tous. Ce grand mouvement de rénovation littéraire était aussi un mouvement de rénovation historique, philosophique, morale. Je ne veux pas dire qu’il ait porté tous ses fruits, qu’il ait même suivi la marche la plus sûre ; il n’y en avait pas moins là pour la jeunesse d’alors une espérance, une certitude, un ralliement. On cherchait le mieux parce que déjà l’on tenait le bien ; on montrait même dans cette recherche une généreuse impatience parce que l’on possédait déjà une somme suffisante de garanties et de libertés.

La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas née sous la même étoile. Celle de 1830 avait eu également à combattre le doute, mais c’était le doute du passé ; aujourd’hui c’est le doute du présent qui nous oppresse. Sans remonter aux causes directes de ce changement, on peut dire que depuis dix ans la jeunesse s’est constamment trouvée entre ces deux écueils, le scepticisme ou bien l’adoration de la réalité, de l’événement accompli, de la force des choses transformée en droit. Il n’y avait là aucune place pour la croyance qui juge et qui vient de l’esprit, c’est-à-dire pour la conscience. La jeunesse s’est alors demandé ce qu’il lui fallait croire ; elle s’est étudiée elle-même