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Tillières, Normand sensé et méfiant, « avait éventé, dit-il lui-même, quelque chose des desseins du sieur de Luynes, qu’il connaissait assez adroit dans les affaires de France et qui concernaient ses intérêts, mais fort ignorant dans les affaires étrangères. » Il reçut bien M. du Buisson, et le présenta au roi et à la cour d’Angleterre, tout en prenant soin de ne pas se compromettre avec lui. « Grâce à mes recommandations, dit-il, les seigneurs traitèrent le sieur du Buisson fort courtoisement, et le roi d’Angleterre lui fit caresse. Cela l’obligea peut-être à avancer plus hardiment sa proposition, et avec un style un peu trop franc et des paroles plus explicites que l’état de l’affaire ne le permettait. Il surprit le roi d’Angleterre, qui ne s’attendait pas à recevoir une telle proposition par la bouche d’un tel homme, dans un temps où il avait des ambassadeurs en Espagne pour traiter avec les Espagnols du mariage de leur infante, et où les Espagnols avaient aussi les leurs en Angleterre pour le même sujet. Il répondit néanmoins fort courtoisement et témoigna que le roi son frère lui faisait honneur en lui offrant son alliance; que, s’il était en état de la recevoir, il lui témoignerait avec quel contentement il l’accepterait, mais qu’il était engagé avec l’Espagne dans une pareille affaire, et qu’il fallait, avant de songer à d’autres, voir quelle fin prendrait celle-ci.

« Le roi Jacques publia tous ces discours pour donner de la jalousie aux Espagnols, et par là les obliger à avancer le mariage de leur infante, qu’ils faisaient marcher trop lentement à son gré, et il s’en moqua en même temps pour leur donner quelque satisfaction.

« Le comte de Tillières fut averti de tout ce beau procédé par les amis qu’il avait à la cour d’Angleterre. Il n’en témoigna rien au sieur du Buisson, qui s’en retourna peu après en France, ayant retiré peu de satisfaction de sa négociation, et la France beaucoup de honte. A la première rencontre que fit le comte de Tillières du roi d’Angleterre, qui fut à West-End, à une chasse au cerf, le roi lui raconta toute cette affaire, et lui témoigna qu’il en était marri à cause de l’affection qu’il portait au roi et à la France, dont on ternissait l’honneur par l’envoi de ces gens et par des offres si hors de saison. Le comte de Tillières, après l’avoir remercié des bons sentimens qu’il témoignait avoir pour sa majesté et pour la France, l’assura que ce qu’on lui avait proposé ne venait ni de l’un ni de l’autre; que l’on n’avait point coutume d’aller chercher des maris pour les filles de France; que si quelque prince prétendait les épouser, c’était à lui de les demander et de dépêcher sur les lieux pour faire connaître son intention; que c’était une chaleur de foie d’un homme qui eût bien désiré se faire de geste, d’une personne de peu de condition qui ignorait de quel poids était sa proposition; qu’il croyait que ledit sieur ne se serait pas vanté en France de ses imperti-