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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/623

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volante où se déposaient les votes, les billets étaient mis dans des boîtes à cigares à côté d’une bible, et les canvassers, sorte de questeurs chargés du dépouillement, buvaient du lager beer en procédant à leur travail sous le contrôle des curieux appuyés sur la balustrade. Bien que la plupart des débits de liqueurs fussent fermés, bien que les mesures de la police fussent aussi bien prises que possible, les horions pleuvaient autour de ces polls. Je vis un pauvre diable, du nom de Waters, qui se refusait à voter pour Wood, être à moitié assommé par deux admirateurs fanatiques de ce candidat; le revolver de l’un d’eux partit dans la bagarre, heureusement sans blesser personne, mais je me croyais revenu à San-Francisco, aux premiers jours de la société californienne. A mesure que l’heure avançait, la foule se portait vers les centres d’opération des trois candidats ou aux bureaux des principaux journaux. Malgré la bise piquante d’une froide soirée d’hiver, elle y stationnait dans la rue, guettant l’arrivée des messagers qui apportaient les résultats des divers arrondissemens électoraux. Ces résultats étaient proclamés au balcon, accueillis selon le cas par des hourras ou des grognemens, et commentés avec la dernière liberté. Les nouvelles du pauvre messager étaient-elles en opposition avec les sympathies de la foule, on le traitait en bouc émissaire ; étaient-elles favorables, on le portait sur le pavois, mais toujours on le bousculait.

Le quartier-général de M. Opdyke fut le premier que je visitai. Un immense transparent éclairé a giorno le signalait au loin; mais si le voir était facile, y arriver l’était moins, et pénétrer dans le sanctuaire ressemblait à un travail d’Hercule. Un couloir étroit et un escalier incommode conduisaient au premier étage, à une salle capable de contenir cent cinquante personnes, et où néanmoins près de trois cents avaient réussi à s’entasser. Un air infect soulevait le cœur, on était aveuglé par la fumée de trois cents cigares et assourdi par l’orage d’interpellations qui éclatait chaque fois que s’ouvrait la porte d’une seconde chambre où travaillait le comité. Tout d’un coup un cri s’éleva : « Le plancher cède! » Alors le tumulte et la confusion furent au comble ; on se sentait malgré soi enlevé et transporté, on disparaissait dans l’escalier comme dans un laminoir, aux dépens des habits et des chapeaux; c’était la miniature de la place Louis XV au mariage du dauphin. J’atteignis pourtant la rue au moment où M. Opdyke paraissait au balcon, salué par des vivat éclatans. Il recommanda à ses partisans de ne pas chanter victoire avant la fin, rappela sa défaite de deux ans auparavant, et continua d’abondance un de ces discours familiers où les Américains excellent. Je n’en attendis pas la fin, désireux que j’étais de voir l’attitude de Mozart-Hall, où se tenait le comité du maire expirant, M. Fernando Wood. C’était