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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/640

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martine avec la foule et ses adjurations quotidiennes à la tempête.

Ce dramatique duel d’un homme contre un élément prit fin au 24 avril, lorsque l’assemblée constituante fut enfin sortie de l’urne électorale. A partir de ce jour, il est impossible de signaler dans la marche du gouvernement provisoire ou dans celle de la commission exécutive, qui succéda à celui-ci, une idée tant soit peu féconde, une tentative qui n’ait pas abouti à un prochain avortement, soit au dedans, soit au dehors. Le pays ne pénétra pourtant pas aussi vite qu’il aurait été naturel de le croire le vide de la phraséologie dans laquelle s’enveloppait presque toujours la pensée de ce pouvoir timide et irrésolu, sitôt qu’il ne s’agissait plus de combattre face à face la tyrannie de la vile multitude.

Le premier besoin des hommes demeurés au-dessous de leurs devoirs dans les circonstances décisives, c’est de couvrir par d’éclatantes formules l’égoïsme de leurs calculs. Ainsi en agit la bourgeoisie parisienne après qu’elle eut vu sortir la république de l’œuf dans lequel elle croyait avoir couvé la réforme. L’on fit de prodigieux efforts d’esprit afin de donner un sens moins alarmant à l’événement dont on était si tristement responsable, et de trouver une sorte d’interprétation philosophique pour la terrible révolution qui avait trompé les plus habiles et constaté l’impuissance des plus illustres. En adoptant en vingt-quatre heures la république, il était naturel que l’on souhaitât devenir républicain et que l’on cherchât les meilleures raisons pour s’expliquer à soi-même un pareil changement. Aussi poussa-t-on la bonne volonté jusqu’à croire que ce régime possédait peut-être après tout un secret ignoré pour réconcilier les pauvres avec les riches, le capital avec la main-d’œuvre, les ouvriers avec les patrons, le profit commercial avec le bon marché, pour accomplir enfin pacifiquement en Europe des miracles de transformation dont aucune monarchie n’aurait conçu la pensée. L’on semblait si reconnaissant au gouvernement qui portait un nom sinistre de ce qu’il ne vous envoyait pas en charrette à la place de la Révolution, l’on était si étonné de causer librement et de dîner encore à ses heures, lorsque le rappel ne contraignait pas à les changer, qu’on avait commencé, sur la parole de M. de Lamartine, et même parfois sur les promesses de M. Louis Blanc, par prendre la république pour une panacée qui extirperait probablement un jour l’antagonisme des peuples, des classes et des intérêts, et à laquelle la Providence, qui se joue de notre sagesse, avait réservé la mission de faire disparaître la plupart des maux réputés, jusqu’au 24 février 1848, inséparables de la condition humaine.

Plus les hommes sont honnêtes, plus ils mettent de prix à chercher pour leur conduite, lorsque celle-ci peut passer pour inspirée par la passion, des motifs spécieux. Cela ne fut jamais plus mani-