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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/642

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rien à mettre en parallèle avec la stérile application des théories développées au Luxembourg, si ce n’est peut-être celle des doctrines icariennes, envoyant leurs adeptes mourir de faim dans les hôpitaux de la Nouvelle-Orléans. Enfin, pour en finir avec ces pauvretés peu redoutables, quoique l’effroi qu’elles inspiraient alors ait abrité bien des apostasies, il faut placer au même rang l’école fouriériste, réclamant de l’assemblée nationale, au milieu d’un fou rire universel, quatre séances pour développer ses voies et moyens, et la fameuse banque d’échange de M. Proudhon, à laquelle était réservé l’honneur peu mérité de périr transpercée par la main de M. Thiers.

Quoi qu’il en soit, l’immense bouleversement apporté dans les esprits et dans les intérêts par la chute du régime constitutionnel, l’impossibilité où se sentait l’ancien parti conservateur de se relever d’une catastrophe que la nation pouvait à trop bon droit imputer à son imprévoyance et à sa faiblesse, l’ardeur que mettaient les opinions hostiles au gouvernement déchu pour constituer un pouvoir auquel la suppression du serment politique les autorisait à apporter leur concours, ces perspectives obscures au fond desquelles se révélaient des cieux nouveaux et de formidables écueils, tout ce qui agit enfin avec le plus de puissance sur l’imagination des hommes se réunit au mois d’avril 1848 pour donner aux élections générales une majorité accidentelle, mais incontestable, à la république. Si antipathique qu’il fut à la masse de la nation, le nouveau gouvernement obtint en effet cette majorité du sacrifice que firent tous les honnêtes gens des prétentions, des idées et des souvenirs incompatibles avec les faits accomplis, et d’un esprit de transaction qui n’était plus malheureusement appelé à se révéler. De là le succès électoral d’un grand nombre de républicains de la veille, sans autres racines dans les localités que le patronage d’un pouvoir qu’on avait pris la résolution de soutenir dans sa lutte courageuse contre l’anarchie; de là surtout l’importance passagère prise au sein de la constituante par les hommes du National, parfaitement ignorés de la France, et que le premier mouvement du pays fut de répudier sitôt que les esprits se trouvèrent replacés sur leur pente naturelle.

L’inspiration à laquelle obéit la France lors des élections de la constituante de 1848 est l’une des plus honnêtes qu’il y ait à signaler dans le cours de son histoire. Ce fut la première fois que les partis placèrent l’intérêt public au-dessus de leur propre satisfaction, et qu’ils se montrèrent sans illusion sur leur véritable puissance. Ne pouvant être républicain ni d’instinct ni de goût, le pays s’efforça un moment de le devenir par raison, car aucune royauté n’était possible en présence de la division des opinions monarchiques, et le coup de tonnerre de février semblait d’ailleurs retentir encore comme un arrêt de la destinée. Si la grave disposition d’es-