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avait pas à espérer de voir quitter le pouvoir à jour fixe par un homme auquel on montrait en perspective la retraite de Mount-Vernon quand il songeait aux Tuileries, et qui croyait, non sans motifs, à la persévérance de ses nombreux électeurs, lorsque cet homme considérait d’ailleurs la volonté du peuple comme la source de tous les droits, et lui attribuait, comme aux papes du moyen âge, la puissance de délier des sermens de fidélité.

En tout état de cause, le gouvernement républicain se fût difficilement acclimaté en France depuis 1848 à cause des répugnances populaires; mais les auteurs de la constitution du 12 novembre semblèrent prendre à tâche de surenchérir pour lui sur toutes les mauvaises chances. Frappés des inconvéniens moraux que présentent aux États-Unis les brigues électorales des présidens en exercice, ils voulurent y couper court en interdisant à ceux-ci la réélection immédiate, ne prévoyant pas qu’ils allaient du premier coup tuer la république, afin de mieux protéger sa vertu. Convaincus d’ailleurs que la France serait aveugle, si jamais elle souhaitait une œuvre plus parfaite, ils imitèrent Lycurgue, et rendirent presque impossible une révision qui seule aurait pu la sauver. C’est le jour où la révision de la constitution fut rejetée que l’empire a été fait[1].

Dès l’ouverture de l’année 1851, la révocation du général investi du double commandement de la garde nationale et de l’armée de Paris laissa pressentir à la France l’attitude que le prince-président entendait prendre à l’échéance de 1852, qui déjà se montrait à l’horizon comme un point sinistre. Cet acte audacieux eut l’étrange bonne fortune d’être le programme évident d’une révolution en demeurant couvert par une stricte légalité. Le général Changarnier fut révoqué aussi facilement que l’aurait été un sous-lieutenant, et, fortifié près de l’armée par des discours qui témoignèrent moins de l’irritation de l’assemblée que de son impuissance, le président fut assuré d’aller coucher aux Tuileries, puisqu’on ne l’envoyait pas ce jour-là coucher à Vincennes. Comment en effet et sous quelle escorte l’y aurait-on conduit? Comment cette assemblée, déjà travaillée par tant de perspectives et d’espérances diverses, aurait-elle trouvé dans son sein une majorité assez forte pour aller jusqu’aux résolutions périlleuses et décisives? Il n’y avait pas à demander le concours de la montagne pour faire déclarer la patrie en danger à l’occasion de la retraite d’un homme dont l’ambition proverbiale était de lui infliger une raclée historique ; le décret du 9 janvier 1851 soulevait naturellement sur les bancs socialistes un sentiment très différent de l’indignation. Le parti républicain s’inquiétait sans doute un peu de l’empire, mais il s’inquiétait bien davantage d’une res-

  1. Séance du 19 juillet 1851.