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exemple sur les Sables de Ramsgate, où se réunissent les habitans de Londres pour prendre les bains de mer durant la saison d’été. Doué de qualités attrayantes, le même artiste nous ramène d’autres fois au bon vieux temps de la joyeuse Angleterre, à ces fêtes champètres où le danseur et la danseuse s’avançaient sous un berceau de mains entre-croisées. Ou bien encore c’est un épisode de la vie des rues, une marchande de cerises entourée d’enfans aux lèvres aussi rouges que le fruit, comme dans un joli tableau de M. Webster. Quel est ce vaisseau qui va partir pour l’Orient ? Il emporte avec lui des soldats qui pressent dans un dernier adieu la main de leurs femmes, de leurs sœurs, de leurs bien-aimées. L’auteur de cette page émouvante, M. O’Neil, nous présente dans un autre tableau le contraste d’un deuil de famille avec la froide indifférence d’une vente aux enchères après le décès du maître de la maison. Le champ de l’art, on le voit, est peut-être plus limité en Angleterre que partout ailleurs ; mais ce champ est bien à elle : on y distingue plutôt la recherche du vrai que l’aspiration à l’idéal. N’y a-t-il point toutefois une poésie dans cette peinture de mœurs d’où se dégagent après tout deux grandes choses, l’âme de la maison et la vie d’une société ?

Il s’est élevé dans ces derniers temps en Angleterre une nouvelle école qui a fait beaucoup de bruit, c’est celle des pré-raphaélites. Vers 1845, un groupe d’élèves de l’Académie royale arbora bravement le drapeau d’une révolution dans les arts. À l’origine, cette école se divisa en deux courans, l’un qui se précipita vers le réalisme, l’autre qui remonta jusqu’au moyen âge, jusqu’à l’ascétisme du XIIIe et XIVe siècle. Les novateurs, comme on voit, ne s’entendaient guère entre eux que sur un point, l’opposition vigoureuse au mouvement régénérateur que Raphaël avait inauguré en peinture. Beaucoup loués et beaucoup critiqués, ils se défendirent dans un journal, le Gem, où ils exposaient leurs doctrines. Il est d’ailleurs juste de reconnaître que le pré-raphaélisme trouvait des racines en Angleterre dans les tendances positives de plus d’un maître qui l’avaient précédé. Avec le temps, la controverse s’est éteinte ; les vrais talens que contenait cette école ont un peu modifié l’âpreté de leur première manière, et, comme il arrive toujours en pareil cas, les médiocrités seules restèrent sur le champ de bataille pour n’avoir point su se défendre de l’extravagance ni du parti-pris. Aujourd’hui les deux chefs des pré-raphaélites sont MM. Millais et Holman Hunt[1],

  1. Du premier, on remarque à l’exposition le Retour de la colombe vers l’arche, les Feuilles d’automne, les Fleurs du pêcher et la Vallée du repos, où, à travers certaines préoccupations systématiques, dominent une riche imagination et un sentiment de grandeur. Le second, M. Hunt, a embrassé un champ fort étendu ; il a peint, tantôt avec humour des scènes de la vie intime ou agricole, tantôt avec un sentiment pathétique les drames de la passion humaine, sans oublier la nature, les arbres et les fruits. Une grande puissance éclate dans son tableau, la Lumière du monde, qu’on a qualifié de peinture religieuse, parce que dans l’auguste et sainte majesté de la lumière il a su nous faire entrevoir en quelque sorte le mystère de l’amour divin.