Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/730

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commune inertie. Le conseil de l’Hérault, on le sait, sous la présidence de M. Michel Chevalier, a pris l’habitude des initiatives libérales en matière de réformes économiques. Il n’a pas manqué cette année à sa propre tradition. Il a émis un vœu remarquable contre l’inscription maritime. La justice et la force des choses veulent que l’on fasse profiter notre marine marchande de la réforme progressive qui doit réaliser en France la liberté commerciale. Or le premier obstacle que l’on rencontre à la régénération de notre marine marchande, c’est peut-être l’inscription maritime, qui tient nos matelots asservis de dix-huit à cinquante ans à la marine de l’état. Ce vieux système, par ses exigences oppressives, éloigne nos populations du métier de la mer, empêche le nombre de nos matelots de s’accroître et grève notre marine marchande de frais excessifs, dont sont affranchies les marines concurrentes; il est en outre la violation flagrante du principe de l’égalité; il fait de nos matelots une caste placée en dehors du droit commun; il perpétue en France quelque chose d’analogue à cette odieuse presse que l’Angleterre a depuis longtemps abolie. Si cette injustice est, comme nous n’en doutons point, victorieusement attaquée au nom des intérêts économiques, on verra là un nouvel exemple des services que l’application des vrais principes économiques est appelée à rendre à la justice sociale. C’est un grand honneur pour le conseil de l’Hérault d’avoir entamé cette campagne, et nous avons l’espoir que le ministre du commerce, M. Rouher, qui a si franchement associé son nom à la réforme commerciale, ne perdra pas de vue la réclamation aussi humaine que sensée de ce conseil.

La France vient de perdre un homme distingué, qui a été dans l’ordre politique un de ses serviteurs les plus honorables, et dans l’ordre des intérêts matériels un de ses maîtres les plus utiles. Nous voulons parler de M. de Gasparin, mort récemment dans sa quatre-vingtième année. M. de Gasparin laisse une place vide à l’Académie des sciences, et ses ouvrages d’agronomie feront longtemps encore autorité dans l’Europe entière. L’agriculture, c’est là le titre éclatant de M. de Gasparin; mais il serait injuste d’oublier en lui l’ancien membre de nos assemblées parlementaires, l’ancien ministre également estimé de ses adversaires et de ses amis, l’ancien préfet de Lyon qui, dans un jour de cruelle épreuve, sauva l’ordre social dans la seconde ville de France. On ne peut voir s’éteindre sans une expression de respectueuse sympathie une des carrières les plus dévouées, les plus désintéressées, les plus pures de notre temps. Nos vétérans politiques s’en vont, à demi effacés d’avance par le mélancolique crépuscule qu’ont fait autour d’eux les révolutions en les éloignant de la vie active. Les hommes d’état de la monarchie constitutionnelle vont partir un à un. Encore peu d’années, et cette génération aura disparu. Puisse la nôtre l’égaler en lumières, en fermeté, en libéralisme! Les fautes commises, les échecs subis, les travers qu’engendre parfois l’adversité politique, ne doivent pas nous empêcher de voir dans ces hommes la grandeur des services et la généreuse sincérité des intentions.