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reste de l’Italie. C’était le 14 mai; cette fête étant la seule qu’on célèbre à Capri, on lui donne la plus grande solennité possible. Cependant la ville est pauvre, le conseil municipal n’est pas prodigue de ses écus, et les saints n’ont point coutume de payer les feux d’artifice qu’on tire en leur honneur. Aussi, chaque dimanche de l’année, on va quêter de porte en porte pour la fête de san Costanzo; chacun donne ce qu’il peut, un grain, deux grains; au bout des douze mois révolus, on compte la somme et on l’emploie en festoiemens. Pour cette fois, on avait fait venir la musique de la garde nationale de Massa, petite ville juchée à mi-côte sur le promontoire de Sorrento, en face même de l’île de Capri. Les pauvres diables de musiciens, groupés sur la place qu’ils remplissaient presque tout entière, soufflaient dans leurs trombones et battaient leur grosse caisse depuis le matin jusqu’au soir, à la plus grande joie des habitans, qui les entouraient pour les écouter, et aussi pour bien constater si on leur en donnait pour leur argent. Le prix fait d’avarice pour deux jours et demi et vingt-cinq musiciens était de 20 piastres (100 francs); il fut gagné, j’en réponds. Le répertoire se composait d’une demi-douzaine de valses, de deux ou trois marches militaires et du fameux hymne de Garibaldi, qui revenait régulièrement de quart d’heure en quart d’heure, et que chacun accompagnait sotto voce toutes les fois qu’on le jouait. On avait suspendu quelques verdures sur les murailles du poste de la garde nationale, dont le drapeau flottait pour la circonstance; les bourgeois avaient endossé leur redingote neuve; sous les voûtes de l’église, les chantres hurlaient des cantiques dans un latin invraisemblable approprié à leur patois; de temps en temps on tirait des pétards, et tout le monde paraissait heureux.

Qu’est-ce que san Costanzo? Je l’ignore; je l’ai demandé au curé lui-même, qui n’a jamais pu me le dire. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il est venu de Constantinople il y a bien longtemps, bien longtemps, comme dans les contes de fées. Tout ce qu’on en a, c’est un fémur qui guérit les malades, fait tomber la pluie pendant la sécheresse et apaise les orages. C’est le plus grand saint du paradis; il aime beaucoup les Capriotes, et leur rend encore plus de services que saint Janvier n’en rend aux Napolitains.

Autrefois il n’était représenté que par un modeste buste en bois qu’un artiste indigène avait taillé dans un tronc d’olivier, à l’imitation de ces Dédales que l’antiquité adorait dans les temples de Grèce; mais un curé se rencontra, ambitieux, humilié en sa personne de l’humble matière dont le pauvre san Costanzo était fait, et, prenant ses paroissiens à partie, il leur fit honte de laisser en bois un saint si précieux : il énuméra longuement tous les saints d’or, d’argent, de vermeil qu’il connaissait, et demanda si la ville de Ca-