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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/944

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d’attaquer la liturgie. » Il jouissait de cette liberté et de cette aise, et comptait bien ne jamais retomber sous l’inquisition pédantesque qui dans son pays l’avait condamné et damné sans rémission. Il écrivait son Beppo en improvisateur, avec un laisser-aller charmant, avec une belle humeur ondoyante, fantasque, et y opposait l’insouciance et le bonheur de l’Italie aux préoccupations et à la laideur de l’Angleterre. « J’aime à voir le soleil se coucher, sûr qu’il se lèvera demain, — non pas débile et clignotant dans le brouillard, — comme l’œil mort d’un ivrogne qui geint, — mais avec tout le ciel pour lui seul, sans que le jour soit forcé d’emprunter — sa lumière à ces lampions d’un sou qui se mettent à trembloter — quand Londres l’enfumée fait bouillotter son chaudron trouble. » — « J’aime leur langue, ce doux latin bâtard — qui se fond connue des baisers sur une bouche de femme, — qui glisse comme si on devait l’écrire sur du satin — avec des syllabes qui respirent la douceur du midi, — avec des voyelles caressantes qui coulent et se fondent si bien ensemble, — que pas un seul accent n’y semble rude, — comme nos âpres gutturales du nord, aigres et grognantes, — que nous sommes obligés de cracher avec des sifflemens et des hoquets. » — «J’aime aussi les femmes (pardonnez ma folie), —-depuis la riche joue de la paysanne d’un rouge bronzé — et ses grands yeux noirs avec leur volée d’éclairs — qui vous disent mille choses en une fois, — jusqu’au front de la noble dame, plus mélancolique, — mais calme, avec un regard limpide et puissant, — son cœur sur les lèvres, son âme dans les yeux, — douce comme son climat, rayonnante comme son ciel.» Avec d’autres mœurs, il y avait là une autre morale ; il y en a une pour chaque siècle, chaque race et chaque ciel ; j’entends par là que le modèle idéal varie avec les circonstances qui le façonnent. En Angleterre, la dureté du climat, l’énergie militante de la race et la liberté des institutions prescrivent la vie active, les mœurs sévères, la religion puritaine, le mariage correct, le sentiment du devoir et l’empire de soi. En Italie, la beauté du climat, le sens inné du beau et le despotisme du gouvernement suggéraient la vie oisive, les mœurs relâchées, la religion Imaginative, le culte des arts et la recherche du bonheur. Chacun des deux modèles a sa beauté et ses taches, l’artiste épicurien comme le politique moraliste[1]; chacun des deux montre par ses grandeurs les petitesses de l’autre, et, pour mettre en relief les travers du second, lord Byron n’avait qu’à mettre en relief les séductions du premier.

Là-dessus il se met en quête d’un héros, et n’en trouve pas, ce

  1. Voyez Stendhal, Vie de Giacomo Rossini, et Stanley, Vie de Thomas Arnold. Le contraste est complet. Voyez dans Corinne cette opposition très bien saisie.