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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/978

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routes, sans police, où le commerce est à la merci du brigandage, où l’agriculture est sans protection, où celui qui sème n’est pas sûr de récolter, où la propriété n’a point de garantie, et où le sol en même temps est d’une admirable fertilité, où le climat est varié et partout beau dans sa variété, placé entre les Indes et l’Europe, un pays qui a été autrefois le plus riche et le plus peuplé du monde, le vrai siège de la civilisation antique, et qui ne demande qu’un gouvernement passable pour redevenir la plus belle contrée de l’univers, car la nature a tout fait pour elle et lui a tout donné; ce sont les hommes qui le gouvernent qui lui ont tout ôté. M. Farley voit enfin dans la Turquie ce qu’elle est et ce qu’elle pourrait être en d’autres mains. Il se dit sans cesse, en voyant cette fertilité en pure perte : Quorsum perditio hœc? Potuit hoc venundari el dari pauperibus. Peut-être M. Farley ne songe-t-il pas aux pauvres : les pauvres ne sont pas de bons colonisateurs. Il songe aux hommes et aux capitaux de l’Angleterre, il songe à ce que les Anglais feraient de ce pays, et il les y appelle ; il expose à leurs yeux les ressources de la Turquie pour les attirer; il leur dit : « Fondez ici des banques, vous aurez plus de 12 pour 100; achetez là des propriétés, elles doubleront, elles quadrupleront bientôt de valeur entre vos mains. » Des banques, des comptoirs, des maisons de commerce, des manufactures, des fermes, tout cela est très beau, surtout quand tout cela est anglais; mais il y a à tout cela un préalable nécessaire, indispensable : c’est un gouvernement passable, une police suffisante, afin que les banques ne soient point pillées, que les manufactures ne soient point incendiées, que les fermes ne soient point ravagées. Or ce préalable, le trouvez-vous dans le gouvernement turc? Non, mille fois non, et cette vérité éclate à chaque ligne du livre de M. Farley.

— Patience, dit lord Palmerston au peuple anglais, je vous ferai une bonne et belle Turquie où vous pourrez commercer, labourer, négocier, fabriquer à votre aise. — Eh! mylord, voilà plus de vingt ans que vous nous promettez ce paradis reconquis! Depuis 1840, vous avez pris à votre compte l’avenir de la Turquie. Qu’est-il devenu? En quoi s’est-il amélioré? Vous avez rendu la Syrie à la Turquie en 1861 : qu’y a-t-elle gagné? Vous la lui avez encore rendue en 1861 : qu’y gagne-t-elle ? que devient-elle? Vous voulez faire vivre l’empire ottoman pour l’Angleterre, soit; mais pour qu’il vive pour l’Angleterre, il faut qu’il vive sans anarchie, sans massacres, sans armées indisciplinées, sans pachas corrompus et vénaux qui ne songent qu’à faire fortune, sans chrétiens opprimés, persécutés, désespérés. Que voulez-vous que fasse l’Angleterre d’un pays ainsi tourmenté par les vices et par les misères de sa décadence? Vous avez peut-être rêvé une Turquie que l’Angleterre exploiterait seule :