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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/823

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france et d’efforts a été comme l’image réalisée et le symbole de la destinée des doctrines qu’il avait embrassées. Celles-ci ne pouvaient convenir à aucun des deux grands partis aux prises en ce moment : elles étaient beaucoup trop libérales pour les catholiques et beaucoup trop catholiques pour les libéraux. Elles n’entraient dans aucun des courans d’idées qui se partagent les esprits ; elles devaient donc être rejetées par tous, elles ne devaient même point de son vivant parvenir jusqu’au public : elles étaient d’avance frappées de l’ostracisme si souvent injuste de l’indifférence. Sa foi en elles n’en fut pourtant jamais ébranlée.

Quelles sont les causes de l’antagonisme qui divise l’église et la société laïque ? Pourquoi d’une part ces fréquens anathèmes lancés par le Vatican contre la liberté, et d’autre part cette opposition sans cesse renaissante contre le catholicisme ? Les deux principes en lutte sont-ils en effet irréconciliables, ainsi que le prétendent leurs partisans respectifs, ou au contraire, sortant des mêmes origines, sont-ils faits pour s’entendre et se soutenir mutuellement ? À quelles conditions pourront-ils se réconcilier, et comment dissiper le funeste malentendu qui les sépare ? Voilà les questions qui sans cesse ont assiégé la pensée de l’écrivain catholique, et dont le sujet abordé dans cette étude nous amène à réveiller le souvenir. Les écrits posthumes de M. Bordas-Demoulin nous transportent au cœur même de la crise religieuse des pays catholiques ; mais les vues de l’auteur sur ce point tiennent par des liens étroits à ses idées philosophiques, et il importe d’exposer celles-ci brièvement.


II.

La plupart des hommes qui ont marqué en philosophie ne sont arrivés à se servir de l’analyse et du raisonnement que pour résoudre une difficulté qui les arrêtait. Ils ne se sont efforcés de pénétrer la constitution de la pensée en elle-même qu’en partant de quelque problème d’application, d’où ils sont remontés jusqu’à la cause première, l’esprit en Dieu et dans l’homme. Ce qui a conduit M. Bordas à s’occuper de philosophie, c’est l’angoisse où le jetait la guerre déclarée aux principes des sociétés actuelles par l’église catholique. Il a raconté lui-même quelque part comment il a été amené à la philosophie, et ce passage peint avec force une situation d’esprit propre à notre siècle. Le problème qui oppressait l’âme du jeune penseur est de ceux auxquels bien peu d’hommes, parmi ceux qui réfléchissent, ont pu complètement échapper. « Étant au collège, dit-il, il me tomba dans les mains le discours où Rousseau cherche à prouver que les arts, les sciences, corrompent les mœurs