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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/104

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semblée. Chacun se retira chez soi. À minuit, une partie du peuple vint camper dans le Forum, et le consul Opimius, pour veiller sur ce rassemblement, fit occuper le temple de Castor, situé à l’extrémité du Forum, qu’on voit toujours dans les troubles être un centre de désordre, comme la Puerta del Sol à Madrid.

Le lendemain, les sénateurs, convoqués dans la Curie, appellent devant eux le consul et Caïus Gracchus. C. Gracchus n’était pas tribun en ce moment, et l’inviolabilité du tribunat ne pouvait le couvrir ; aller dans la Curie, c’était se livrer. Le sénat était en proie à l’exaltation la plus violente ; on avait apporté le corps d’Antyllus, à travers le Forum et le Comitium, à la porte de la Curie. Les sénateurs en étaient sortis, et en présence du cadavre avaient poussé des cris de rage et de vengeance à la grande indignation des plébéiens, qui voyaient cela du Forum, et trouvaient que c’était bien du bruit pour un serviteur public mis à mort injustement sans doute, mais qui s’était attiré son malheur, de la part de ceux qui avaient massacré un tribun inviolable sur le saint Capitole et en avaient précipité son cadavre.

Ce n’était pas à de telles gens, dans un tel moment, que Gracchus pouvait présenter sa justification, d’autant plus que, rentrés dans la Curie, ils décrétèrent que le consul Opimius était chargé de sauver la république et d’exterminer les tyrans : c’était l’arrêt de mort pour Gracchus et ses amis. Gracchus, retournant à sa demeure, s’arrêta dans l’atrium, où était le portrait de son père, le regarda fixement et passa outre sans mot dire. Ceux qui étaient le plus attachés à Caïus allèrent veiller durant toute la nuit dans sa maison et alternativement faire le guet devant sa porte pour la garder. Là tout se passa dans un calme digne et triste. Les choses n’allèrent pas de même chez Fulvius Flaccus. Ici la veillée fut bruyante et désordonnée. Flaccus lui-même s’enivra et parla à tort et à travers comme un homme téméraire qui veut s’étourdir sur le danger. Le lendemain, lui et les siens, s’emparant d’armes qu’il avait conquises sur les Gaulois et dont il avait fait un trophée dans sa maison, se rendirent sur l’Aventin, lieu cher aux plébéiens, qu’il avait vu plus d’une fois triompher, Caïus Gracchus s’arma seulement d’un poignard sous sa toge pour se défendre, et sortit d’un air tranquille comme s’il allait au Forum. Le Forum était sur son chemin pour gagner l’Aventin en partant de la Subura. Sa femme, tenant leur enfant, voulut l’arrêter sur le seuil en lui rappelant le meurtre de son frère ; il se dégagea doucement, et alla rejoindre Flaccus sur l’Aventin. Flaccus était un séditieux qui avait pris les armes. Caïus Gracchus, qui ne les avait point prises, eut tort d’aller près de lui ; mais évidemment sa vie était en danger. Les sénateurs, par leur