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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/112

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de la méthode expérimentale : il a aussi sa cause dans une judicieuse division du travail d’investigation qui concentre sur des points particuliers des efforts autrefois disséminés. C’est par l’étude spéciale et approfondie de certaines questions bien définies, c’est-à-dire en multipliant les monographies, que la psychologie a le mieux prouvé sa certitude, sa force, sa fécondité, et qu’elle conquiert sans bruit une influence croissante.

Ainsi, sans s’interdire à jamais ces majestueux et imposans systèmes qui embrassent tous les problèmes et répondent à toutes les questions, la philosophie ferait peut-être bien de se livrer quelque temps encore à des investigations partielles. Un ensemble de monographies psychologiques, circonscrites, il est vrai, mais fondées sur des observations délicates poussées jusqu’aux derniers détails, et aussi complètes que possible dans leurs limites restreintes, préparerait infiniment mieux une synthèse durable que les plus brillantes et même les plus heureuses témérités de l’hypothèse. La matière d’ailleurs ne manquerait pas. Que de points déjà traités par les maîtres ont besoin d’être repris et serrés de plus près ! Que de sujets précédemment rebelles même à de puissantes mains, céderaient au travail passionné de quelque jeune intelligence avide de recherches ! Aussi convient-il que la critique accueille favorablement et discute avec bienveillance de semblables essais, quand ils sont sérieux, afin qu’ils croissent en nombre et en qualité, au réel profit de la science. Voilà pourquoi nous nous proposons d’étudier ici le livre récent de M. Léon Dumont sur les Causes du Rire. De toutes les délicates questions comprises dans cette partie de la psychologie qui a gardé le nom mal fait d’esthétique, la question du rire et de ses causes est sans contredit la plus délicate. Quoique une multitude de penseurs s’en soient occupés, ce phénomène du rire, si fréquent, si quotidien, si vulgaire même, qui manifeste si puissamment l’activité et surtout l’exubérance de la vie, et qui joue un si grand rôle dans certaines œuvres d’art, ce frémissement singulier de l’âme et du corps reste, en partie du moins, enveloppé de mystère. Il serait piquant que le mot de cette énigme psychologique nous fût donné par un jeune philosophe amateur, qui ne se réclame d’aucun maître, d’aucune école, et qui n’a d’autre prétention que d’écouter religieusement la voix des faits. Demandons-lui donc, et quand il ne pourra nous répondre, ou quand ses réponses ne nous satisferont pas, cherchons nous-même ce qui manque aux définitions antérieures du rire ; quelle est la définition du rire en nous-mêmes et du risible dans les objets ; comment s’expliquent tous les phénomènes qui sont comme les analogues ou les annexes du rire, et enfin dans quelle mesure les arts doivent admettre le rire, le risible et le comique.