Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me jetant de côté; ce n’était rien moins qu’une brosse à meubles ! Comme je me retournais pour manifester à mistress Smith ma surprise et mon indignation : « Que voulez-vous? me dit-elle; miss Nettie est allée prendre le thé dehors... Et quand elle n’est pas là, personne, vous le savez, ne veille sur les enfans... Dieu me préserve cependant de lui reprocher une distraction si rare !... Et vous ne lui en voudrez pas non plus, » ajouta-t-elle en levant les yeux sur mon visage, où se peignait une contrariété voisine de l’irritation.

Cette contrariété me rendait cruel. Je poussai devant moi les enfans dans le salon, heureux par avance du trouble et du désarroi que j’allais y porter. Il fut aussi complet que possible. La pièce était remplie d’une épaisse fumée. Sur le sofa de Nettie, dans le domaine réservé de Nettie, — qui lui avait solennellement interdit d’en abuser ainsi, — Fred se vautrait avec une inqualifiable impudence, et Susan, assise auprès de lui, promenait son aiguille indolente dans je ne sais quelle inutile tapisserie. Il y avait quelque chose de misérablement égoïste dans ces jouissances furtives sur lesquelles ils s’étaient ainsi jetés, en véritables esclaves, aussitôt leur maîtresse partie. Surpris à l’improviste par mon entrée, ils se soulevèrent tous deux, Fred pour cacher sa pipe, et sa femme pour enlever de la table le verre où il venait de boire. Par réflexion cependant et honteux de leur couardise, ils laissèrent les choses en place; mais ils ne savaient par où commencer, et j’étais pour le moins aussi gêné qu’eux.

« Nettie n’est pas là, dit enfin l’aimable compagne de mon frère, et j’ose affirmer que si vous l’aviez su, nous n’aurions pas le plaisir de vous voir... Il est bien rare, au surplus, que nous ayons une soirée à nous, et le hasard qui nous l’avait donnée s’est cru, je le vois, trop prodigue…

— Voulez-vous bien vous taire, Susan! interrompit son mari. »

Je m’excusai du dérangement que je paraissais leur causer en invoquant la nécessité de les avertir du désordre périlleux qui régnait dans le vestibule au moment où j’y avais pénétré. Mon explication n’eut aucun succès auprès de ma belle-sœur, qui recommençait ses récriminations sur nouveaux frais, lorsque son mari lui coupa derechef la parole.

« Allez à vos affaires! lui dit-il brusquement... Allez surveiller cette marmaille !... » Et quand elle fut sortie : « Ma foi, continua-t-il avec une rare effronterie, si bonne ménagère que soit Nettie, son absence, par momens, est un véritable débarras... On respire un peu plus librement loin de ses beaux yeux. »

Une bouffée de pipe accompagna cette espèce d’apologie, qui me parut un véritable défi.