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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/242

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d’être un de ces grands orateurs dont le souvenir empêche M. le comte de Persigny de dormir, même lorsqu’il n’est plus ministre. N’en venons-nous pas d’avoir un exemple parlant dans le récent voyage de M. Thiers à Vienne?

Pourquoi au surplus s’émouvoir si vite en se complaisant aux conjectures irritantes? Nous assistons en Allemagne au commencement d’une chose intéressante et grave, mais n’oublions pas que nous sommes dans un pays où la fin n’est jamais près du commencement, dans un pays rempli par son histoire d’incohérences qui n’ont pas l’habitude de se gouverner d’après la logique française. Essayons plutôt de nous rendre compte de ces incohérences et du point où les prend l’initiative autrichienne; c’est le meilleur moyen d’apprécier la portée et la difficulté des problèmes qui s’attachent au projet de la réforme fédérale.

Rappelons-nous d’abord que la politique étrangère des puissances allemandes subit toujours l’influence des relations et des querelles intérieures de la confédération. Pour comprendre la politique européenne de la Prusse et de l’Autriche, il ne faut jamais perdre de vue leurs rivalités comme puissances allemandes. On ne saurait imaginer en France à quelles bizarres conséquences ont abouti quelquefois ces préoccupations jalouses. Un éminent observateur des affaires germaniques nous en citait un curieux exemple. « L’Autriche, nous disait-il, se décida à traiter à Villafranca pour n’avoir point à accepter l’aide de la Prusse, qui, en lui apportant l’appui de la confédération, se serait trouvée naturellement à la tête de l’Allemagne; la Prusse de son côté n’a jamais pardonné à l’Autriche de ne s’être pas fait battre une fois de plus pour lui laisser prendre ce rôle. » Cette interprétation des sentimens des deux puissances ne paraît point paradoxale quand on se rappelle en effet les aigres dépêches que M. de Schleinitz et M. de Rechberg échangèrent coup sûr coup au lendemain de Villafranca. Cette rivalité primordiale plane sur l’inextricable dédale des divisions intérieures de l’Allemagne. Il y a dans ce pays des partis religieux dont l’un naturellement s’appuie sur l’Autriche catholique, et l’autre sur la Prusse protestante. Il y a le parti unitaire, décomposé en mille nuances, et les intérêts opposés, liés au maintien de l’équilibre actuel. Il y a dans chaque état des partis libéraux se ralliant au parti unitaire sans se confondre avec lui, et des partis rétrogrades qui, fondés sur un principe commun de droit divin, s’inspirent aussi des haines exclusives des semi-nationalités auxquelles ils appartiennent. Ces tendances diverses, après de nombreux et longs entrecroisemens, se combinent, se compensent, se contre-pèsent de façon, la plupart du temps, à annuler l’action du corps fédéral.

Parfois aussi tous les termes de cette équation embrouillée s’intervertissent et donnent les résultats les plus inattendus. C’est le phénomène que nous avons en ce moment sous les yeux : l’Autriche, devenue libérale, se conciliant les aspirations unitaires, et la Prusse, follement réactionnaire et absolutiste, s’isolant à plaisir de tous ses appuis. Comme toujours, les petits princes sont entre l’enclume et le marteau, et leurs peuples se groupent