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de trésors, les principales cours d’Allemagne ont même encore leur Schatzkammer, leur chambre du trésor; les fermiers hollandais sont restés fidèles à ces traditions du temps passé, et ils attachent une grande importance à posséder une riche argenterie. Comme la culture pastorale n’admettait pas d’améliorations dispendieuses et que tous leurs besoins étaient largement satisfaits, les cultivateurs propriétaires ne trouvaient point pour leurs économies de meilleur placement que celui qui flattait le plus leur vanité. Depuis que le beurre et le fromage ont presque doublé de prix, leurs bénéfices ont considérablement augmenté, et ils ont pu se livrer à leur goût plus largement encore que jadis. Ils ne se sont plus contentés d’avoir de la vaisselle, des couverts et des services à thé en argent, ils ont fait fabriquer pour eux en ce métal de grands vases et toute sorte d’ustensiles de ménage. Il y en a même qui, trouvant l’argent de trop peu de valeur, se sont fait faire des services en or. Cependant un grand nombre de paysans ont acheté en même temps des fonds publics et surtout beaucoup de métalliques autrichiens. Leur manière de vivre restant simple, ils ont fait de grandes économies, et il s’est accumulé ainsi dans les campagnes de la Hollande des capitaux considérables. Un cultivateur qui possède une tonne, c’est-à-dire 216,000 francs, ne passe point pour riche, et il n’est pas rare d’en rencontrer qui en ont deux et trois[1]. On s’étonne d’abord de rencontrer tant d’orfèvres dans les petites villes et jusque dans les villages; on admire à leur étalage des pièces d’argenterie somptueuses et des colliers de corail de 1,500 et 2,000 francs, comme on n’en voit pas à Naples même, et l’on se demande qui peut acheter ces objets d’un luxe d’ordinaire inconnu et certainement déplacé à la campagne. Il suffit d’arriver dans ces localités un jour de marché pour

  1. La tonne d’or (een ton gouds) est l’unité dont on se sert dans les Pays-Bas pour estimer les fortunes ou pour compter les grandes sommes : elle vaut 100,000 florins. En visitant la Nord-Hollande, je vis passer un jour une noce villageoise. Une quarantaine de voitures entraînaient les invités au grand trot des chevaux sur les routes de briquettes aussi unies que le parquet d’un salon. Ces voitures sont d’une forme ancienne, mais charmante. On les appelle chaises dans le pays. Ce sont en effet des chaises du XVIIIe siècle, dont la caisse en forme de conque, suspendue très haut, est toute couverte de dorures et d’ornemens en chicorée. Elle est si étroite que deux personnes peuvent à peine s’y tenir. Aussi les jeunes filles, dont les dentelles et les rubans éclatans volaient au vent et dont les plaques d’or attachées sur le front brillaient au soleil, s’accrochaient-elles à leur joyeux compagnon, qui conduisait, les bras tendus, un vigoureux cheval noir lancé à toute vitesse. Les couples, animés d’une gaîté expansive, — le Hollandais ne s’amuse pas à demi, — jetaient en passant des dragées aux enfans; puis, aux acclamations des villageois, les voitures reprenaient leur course rapide, et disparaissaient comme un tourbillon. Le soir, les invités étant venus prendre des rafraîchissemens à l’hôtel où j’étais logé, je demandai à l’un des jeunes paysans si la mariée était riche. » Eh! elle a bien quelque chose, me répondit-il, environ anderhalf ton (une tonne et demie), je suppose; mais, ajouta-t-il en me présentant une belle blonde aux yeux noirs, voici ma fiancée qui sera plus à son aise : elle en aura deux. »