Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après le vote de la loi, l’administration chargea un certain nombre de personnes influentes et de bonne volonté de parcourir les villages pour stimuler le zèle des familles et des conseils municipaux. Il est regrettable qu’on n’ait pas publié le récit de ces missions officieuses, il y aurait de quoi faire réfléchir ceux qui croient que l’enseignement primaire fera partout son chemin tout seul, et qu’il suffit qu’une chose soit excellente pour qu’elle réussisse. N’y a-t-il pas, outre l’ignorance, la misère, qui veille à la porte de l’école pour en écarter les enfans? Certaines familles sont semblables à des villes assiégées, où une bouche inutile engendre à coup sûr la famine. Que de mères, dans les villes industrielles, s’efforcent, par tendresse, de frauder la loi sur le travail des enfans dans les manufactures, et que d’autres, dans nos campagnes, au lieu de mettre leurs enfans à l’école, les envoient garder des oies pour gagner 2 sous, à sous par semaine! C’est une question de pain. En 1833, les paysans bretons avaient contre cette école une objection que les voies de grande et petite communication, la vapeur et le suffrage universel n’ont pas encore entièrement détruite : ils la regardaient comme une invasion de l’ennemi, et ils n’avaient pas trop tort; c’était la civilisation qui cherchait à pénétrer parmi eux, et qui leur envoyait des maîtres d’école comme autant de sentinelles perdues. « Qu’a-t-on besoin de tant de science pour cultiver la terre? disaient-ils. Je ne veux pas que mes enfans en sachent plus long que moi. »

Ce sont là des faits; c’est de la pratique. Si quelqu’un en doute, qu’il fasse un voyage de quelques lieues en dehors des routes fréquentées; il verra de ses yeux, il entendra de ses oreilles. L’ignorance perd du terrain sans doute, mais avec quelle lenteur! Il y a une vingtaine d’années, dans une ville importante qu’on pourrait citer, on eut besoin d’une salle de bal pour quelque fête officielle. Les commissaires cherchent un local convenable, ils ne trouvent que celui de la bibliothèque; mais ces livres gêneront les danseurs, ils entravent toutes les combinaisons des tapissiers : on les entasse dans des corbeilles, on les porte dans les combles. Ils y étaient encore sept ans après.

Lorsque de pareils faits se passent dans une ville relativement considérable, peut-on s’étonner que les conseils municipaux de pauvres villages, dans des provinces reculées, aient profité avec empressement de la faculté, que leur laissait l’article 9 de la loi de 1833, de se réunir à d’autres communes pour entretenir une école? Ce qui est moins explicable, c’est de voir cette faculté, accordée au début par nécessité, confirmée par la loi du 15 mars 1850. Les législateurs de notre grande révolution ne connaissaient pas ces mé-