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titre étant censé avoir droit à la marchandise livrable à terme. Cet agiotage est si vivace, a-t-on dit dans un procès récent, que certaines filières, glissant de main en main, ont reçu parfois jusqu’à cinquante endos par jour. Il n’est pas rare d’en voir qui portent plusieurs centaines de noms : le même nom y revient ordinairement plusieurs fois. Le chiffre total de ces prétendues ventes serait peut-être le centuple des qualités réellement vendues.

Les opérations de ce genre sont des espèces de paris qui aboutissent rarement à des ventes réelles, et plus rarement encore c’est le faiseur de pain qui achète. Le farinier qui ne trouverait pas le débit de sa marchandise à la halle est donc forcé de l’offrir à domicile; mais trop souvent il trouve chez le boulanger, ou un commerçant craintif qui ne veut rien livrer au hasard et se contente d’acheter au jour le jour, ou un artisan obéré qui inspire peu de confiance. Qu’arrive-t-il alors? On fait un marché à cuisson, c’est-à-dire une convention par laquelle le meunier s’engage à livrer au boulanger une certaine quantité de farine pendant un laps de temps déterminé, trois mois, six mois, un an; le boulanger cuit et vend le pain, et tient compte du prix à son fournisseur suivant la taxe de la quinzaine où la farine est employée, et en réservant pour ses avances et son labeur une rémunération en argent qu’on appelle la prime de cuisson. Quand le boulanger en est là, il cesse de s’appartenir : il n’est plus qu’un ouvrier travaillant à la journée et au rabais pour le compte du meunier.

Il est clair, à la manière dont on manœuvre à la halle, que le commerce des farines y subit des influences étrangères aux lois naturelles de l’échange. Avec le système de la compensation introduit en 1853, une taxe manquant de sincérité pouvait avoir les inconvéniens les plus graves. On voulut en avoir le cœur net. La municipalité institua une commission d’enquête dont il nous reste un curieux rapport de M. Victor Foucher. Il a été constaté que les boulangers n’achetaient pas sur le carreau de la halle la vingtième partie des farines qui alimentent le département. Je remarque en outre que les deux tiers des farines achetées par l’entremise des facteurs sont livrées à des négocians en farines qui les expédient au-delà du rayon de Paris. C’étaient donc les achats de ces négocians qui faisaient osciller la balance et réglaient en définitive le prix que devait payer pour son pain la population parisienne. Or le quintal de farine devant fournir 130 kilogrammes de pain, il suffit d’une hausse de 1 fr. 30 c. par quintal pour élever de 1 centime la taxe de quinzaine. Ce centime de plus, c’est un surcroît de dépense de 120,000 fr. en quinze jours infligé aux consommateurs parisiens, au profit des spéculateurs en farines.