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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/429

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trent que les amateurs paient très cher leurs fantaisies. Les petits pains faits avec la pâte ordinaire sont débités au prix moyen de 60 centimes le kilogramme. Les petits pains de luxe ou ceux qu’on appelle aujourd’hui pains riches, faits avec des farines de premier choix ou de véritables gruaux remoulus, sont vendus à des prix qui portent le kilogramme de 80 centimes à 1 franc. Certaines maisons, qui ont un grand débit de ces qualités, réalisent des bénéfices séduisans.

On sait maintenant à quel point la taxe officielle était illusoire. Au lieu de la subir, c’étaient les fariniers qui la dictaient, et, quant aux boulangers, ils prolongeaient leur pénible existence par des moyens qu’il serait rigoureux de leur reprocher, puisque la taxe même ne leur permettait pas de vivre autrement. Ils faisaient deux parts de leurs marchandises, l’une soumise à la taxe et qui y échappait par l’insuffisance du poids ou la mauvaise qualité du produit; l’autre, non taxée, qu’ils vendaient à des prix excessifs. La taxe était donc impuissante à produire le bon marché. Souvent même elle ne servait qu’à provoquer la hausse. En effet, quand une denrée de nécessité première est rare et recherchée, il n’y a pas d’ordonnance qui puisse empêcher l’exhaussement des prix. Au contraire, lorsqu’il y a surabondance, la taxe officielle est pour le vendeur un point de mire qui l’empêche d’évaluer sa marchandise aussi bas qu’elle tomberait dans l’ordre naturel du commerce. Si une taxe est maximum, c’est une chose mauvaise et que tout le monde condamne; si elle n’est pas un maximum, ce n’est rien.

Combien y a-t-il de commerces à Paris qui pourraient immobiliser une quantité de marchandises égale à la vente de trois mois? Fort peu sans doute, même parmi ceux que l’on considère comme florissans. Que l’on ait imposé une telle charge à une corporation souffreteuse, comme l’est évidemment la boulangerie, c’est un des curieux exemples de cette routine qu’on appelle dans les bureaux la tradition. Lorsqu’en 1801 on mit à la charge des boulangers la formation d’une réserve, le dépôt de farines exigé de chacun d’eux variait, suivant l’importance du fonds, de 23 à 94 quintaux. L’administration, se glorifiant d’une prudence dont elle ne faisait pas les frais, gonfla successivement les chiffres de cette réserve, si bien qu’en 1854, lorsque l’approvisionnement de trois mois fut décrété, le dépôt à effectuer variait entre 212 et 848 quintaux. En novembre 1858, un décret impérial, longuement commenté par une circulaire de M. Rouher, étendit le principe de l’approvisionnement de trois mois aux 161 villes françaises où la boulangerie est réglementée. La population de ces villes, unie à celle du département de la Seine, formerait un groupe de 5 millions d’habitans, et la somme à four-