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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/48

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inattendue, tout le monde pourra aisément le comprendre. J’étais profondément indigné, mais je ne savais que dire. « Nettie ! m’écriai-je avec cette toux préliminaire qui annonce un exorde peu sûr de lui-même.

-— Nettie, Nettie, » répéta une voix enfantine qui me faisait écho à quinze ou vingt pas de distance. On entendait en même temps trottiner sur la terre dure les deux petits pieds d’un enfant, et à peine nous étions-nous retournés que l’insupportable Freddy vint se jeter dans nos jambes. Il s’était échappé du cottage pour courir après nous, c’est-à-dire après elle.

« Je ne veux aller qu’avec Nettie ! criait-il, se cramponnant à la robe de sa tante et me repoussant à grands coups de pied… Je hais Chatham,… je hais tout le monde !… Si on m’emmène sur le vaisseau, je sauterai à la mer pour revenir en nageant… Non, je ne la lâcherai pas… Coupez-moi les mains si vous voulez !… Gardez-moi, Nettie, gardez-moi !… Vous verrez si je serai sage… Je veux rester avec Nettie… Personne n’aime Nettie comme moi ! »

Chose étrange, Nettie était émue. Elle se pencha vers l’enfant et le serra contre elle d’une étreinte si forte qu’il cessa tout à coup de crier, me regardant avec une espèce d’effroi.

« Tu m’aimes donc, toi ? disait-elle… Tu quittes tout, tu oublies tout, tu braves tout pour venir à moi ?… Figurez-vous, ajouta-t-elle, se tournant de mon côté, qu’il a failli ce matin avoir une attaque de nerfs… Il couche dans ma chambre, vous le savez… Quand il m’a vue faire le triage de son linge et du mien… Pauvre Freddy !… Si je le leur demandais pourtant ?… On me le laisserait sans aucun doute… »

Je ne sais comment à ce propos ses yeux vinrent chercher les miens. Il y avait là une question qui ressemblait à une prière, ou une prière qui ressemblait à une question. La réponse ne se fit pas attendre .

« Allons, soit ! m’écriai-je en reprenant cette main qu’on m’avait enlevée et que cette fois on me laissa, puisque vous le voulez, va pour Freddy !… Ce sera l’aîné de nos enfans. »

Je les hissai tous deux dans mon drag pour les ramener au cottage Saint-Roque, et jamais, je crois, on n’a mis si longtemps à franchir les deux milles qui nous en séparaient.

Je dois à mon bon cheval de dire ici que ce ne fut pas sa faute.


E.-D. FORGUES.