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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/486

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thèse dans deux dépêches connues avec le luxe d’argumentation légale qui le distinguait comme ministre des affaires étrangères. Lord Russell l’a complètement adoptée et l’a en quelque sorte reprise en sous-œuvre. Enfin, depuis 1815, elle est sortie des archives secrètes de la diplomatie ; elle a été confirmée par les révélations de l’histoire. M. de Mazade par exemple a divulgué récemment, dans la Revue même, des parties curieuses de la correspondance de l’empereur Alexandre avec le prince Adam Czartoryski qui ne laissent pas de doute sur la nature des engagemens pris par la Russie. L’empereur Alexandre se croyait si bien astreint à donner aux provinces anciennement démembrées des institutions qui leur fussent propres, des institutions polonaises, qu’il s’efforçait de séduire le patriotisme des Polonais en leur promettant de réunir les provinces au royaume pour rétablir ainsi une grande Pologne. En restant même dans les limites du traité de Vienne, les puissances ont le droit de demander que la Russie ne traite pas autrement la Lithuanie et la Ruthénie que l’Autriche et la Prusse ne traitent la Galicie et le duché de Posen. Et comment n’useraient-elles pas de ce droit, lorsqu’elles voient les anciennes provinces polonaises livrées à la cruelle administration de Mouravief et de ses émules, gouvernées révolutionnairement et privées de la protection des lois ? La lettre des traités est formelle ; quoique incorporées à la Russie, les anciennes provinces polonaises ne font pas partie de l’empire aux mêmes conditions que les autres possessions russes ; elles y sont attachées à des conditions particulières, stipulées par les puissances signataires des traités ; la Russie est tenue de justifier devant ces puissances qu’elle satisfait à ces conditions. Or la revendication de ce droit, exprimée probablement dans le mémoire de M. Drouyn de Lhuys, va à l’encontre de cette prétention récente de la Russie qui dénie aux provinces de l’ouest leur nationalité polonaise. C’est sans doute le désir de soutenir cette prétention et d’accroître sa popularité moscovite qui aura décidé le prince Gortchakof à prendre encore une fois la plume. Quoi qu’il en soit, nous espérons que la France ne permettra pas au gouvernement de Pétersbourg de trouver dans l’état actuel de la Pologne et dans les témoignages de sympathie que l’Europe donne à la cause polonaise l’occasion de consommer une des plus insolentes usurpations qu’il ait méditées.

Les nouvelles dépêches du prince Gortchakof auront donc une sorte de couleur rétrospective, ressembleront à la discussion d’une thèse d’histoire et n’apporteront aucun changement à la situation. Nous croyons qu’on en a fini, à l’heure qu’il est, avec le roman récemment imaginé pour expliquer un prétendu rapprochement entre la Russie, la Prusse et la France, rapprochement qui se serait accompli au moyen d’institutions constitutionnelles octroyées par le gouvernement russe, et dont le prétexte aurait été une égale jalousie inspirée à ces trois puissances par l’initiative qu’a prise l’Autriche à propos de la réforme de la confédération. Rapprochement, moyen et prétexte, tout était inventé. Il n’y avait de réel que ceci : la question de la réforme du pacte germanique était, par le fait, une sou-