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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/554

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qui en disposent peuvent être sommés à un jour donné d’en rendre compte, la liberté fera la garde à l’entour et les empêchera d’empiéter. Le plus vaste pouvoir du monde, s’il demeure soumis à la critique pendant qu’il s’exerce et peut être pris à partie pour répondre de ses œuvres, est plus efficacement borné par ce contrôle et cette menace que par aucun article de loi écrite. Au fond, il n’y a pour la liberté que trois poisons destructeurs qui sont les alimens mêmes dont le despotisme se nourrit : le mensonge, le silence et l’impunité. Le pouvoir absolu périt du jour où l’on peut quelque part, fût-ce à ses pieds, parler et juger.

Ceci revient à dire que la liberté n’a au fond que trois demandes indispensables et sine qua non à faire à une constitution : sincérité dans les élections, droit de discussion à la tribune et dans la presse, responsabilité sérieuse des dépositaires du pouvoir. Une fois rassuré sur ces exigences, tout homme sensé lui conseillera d’être beaucoup plus coulante et moins chicanière que par le passé sur des questions de préséance et de point d’honneur, de s’inquiéter moins par exemple de grandir les attributions du corps électif aux dépens des prérogatives du souverain. Encore un coup, le partage même importe peu : ce qui importe, c’est qu’une fois fait, on s’y tienne, qu’il ne soit pas subrepticement faussé, et que chacun dans sa sphère soit justifiable devant l’opinion de sa conduite. Donnez-moi cette assurance, la liberté vous tient quitte du reste.

Mais aussi tant que la sécurité n’existe pas sur ces points capitaux, il y a, on le voit, même dans l’ordre politique le plus élevé, des conquêtes urgentes à poursuivre, auxquelles peuvent se consacrer de concert tous les libéraux en ajournant après la victoire leurs dissentimens de moindre valeur. Il y a comme un symbole en trois articles que chacun peut signer et défendre, réservant pour soi-même son franc parler, et accordant à autrui la tolérance sur les points douteux. C’est la règle catholique en matière de foi. Je n’imagine pas que personne ait, en fait d’orthodoxie, la prétention d’être plus difficile que l’église. Le bon sens d’ailleurs, la règle de ménage la plus vulgaire indique assez qu’il est ridicule, quand on n’a pas le nécessaire, de se quereller sur les conditions du superflu. Que si cette campagne à soutenir pour obtenir le modeste nécessaire de la liberté devait être longue et laborieuse, si elle devait retenir plus de temps qu’on ne le pense sous le même drapeau des gens qui s’étonnent un peu de s’y trouver ensemble, il n’y aurait peut-être pas lieu de trop s’en affliger, car ces gens y gagneraient de se connaître, peut-être de s’apprécier même les uns les autres plus qu’ils n’ont fait jusqu’aujourd’hui. Rien ne fait tomber les préjugés et ne dissipe les malentendus comme une lutte commune soufferte