Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressources nouvelles, sans empiéter pour cela sur le domaine de la gravure, sans rien contrefaire de ses procédés : limité nécessaire, mais en pareil cas difficile à observer, réserve délicate dont Aubry-Lecomte, conseillé de près par Girodet, avait su ne pas se départir, et que, vers la même époque, M. Sudre devait garder avec plus de certitude encore dans l’exécution de sa belle lithographie l’Odalisque, d’après le tableau de M. Ingres. Enfin, à l’exemple des chefs de l’école, des peintres moins avancés dans la carrière, M. Léon Cogniet entre autres, des talens à peine consacrés par le succès, demandaient à la lithographie de se faire l’auxiliaire de leur réputation naissante.

Survint, pour parler le langage du temps, la révolution romantique, et avec elle un surcroît de crédit attribué à la lithographie par les artistes de la nouvelle école. Rien de plus naturel au surplus. Les innovations introduites à cette époque n’étaient pas de celles dont la gravure s’accommode. Le moyen de rendre avec le burin ces teintes opulentes, sous lesquelles les contours se dérobent, ce modelé souvent incertain, ces corps de toute espèce brillamment coloriés, mais plutôt touchés que construits et parfois chiffonnés jusqu’à la confusion des lignes ? Nous n’avons pas à apprécier ici, en tant que réforme pittoresque, les mérites très incontestables d’ailleurs ou les côtés défectueux de l’entreprise que l’on tenait, il y a près de quarante ans ; nous n’essayons pas de la juger au point de vue des ruines ou des conquêtes qu’elle a faites, des progrès qu’elle a déterminés ou compromis. Ce que nous voulons dire simplement, c’est qu’elle ne devait attendre, pour confirmer ses succès, aucun secours de la gravure, et que là où la pointe d’un Rembrandt eût réussi à peine, le burin des élèves de Bervic ou de Desnoyers ne pouvait, à plus forte raison, s’essayer. Il fallait donc que les chefs du mouvement ne comptassent en ceci que sur eux-mêmes. Aussi n’hésitèrent-ils pas à se mettre à l’œuvre. Le plus éminent d’entre eux, Eugène Delacroix, avait plus d’une fois déjà quitté le pinceau pour le crayon à l’époque où il entreprenait, d’après le Faust de Goethe, cette suite de lithographies qui devait être, dans le domaine de l’art, une sorte de pendant à la préface de Cromwell, un manifeste à l’adresse de la foule, des croyances et des ambitions de la nouvelle école.

Lorsque aujourd’hui, — à la distance où nous sommes de ces luttes ardentes, mais généreuses après tout de part et d’autre, et très préférables à l’extrême quiétude intellectuelle où nous vivons, — on examine le recueil publié par Delacroix au plus fort de la querelle, il semble qu’il ait perdu beaucoup de l’autorité qu’on lui attribuait alors. Le regard s’étonne peut-être de ces violences dans