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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/584

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qui l’a faite ; mais ce caractère tout personnel demeure indépendant du sujet traité. Au lieu de se modifier conformément à la variété des données, cette manière garde en toute occasion une fixité opiniâtre : elle s’immobilise, pour interpréter La Fontaine ou Cervantes, dans les procédés employés la veille pour traduire la Genèse ou pour nous initier aux mœurs modernes de l’Orient. Là est en général le défaut des toiles qu’a laissées Decamps, et, s’il fallait justifier notre opinion par un exemple, nous rappellerions l’espèce de déception qu’éprouvèrent même les fervens admirateurs du maître en voyant ses tableaux de toutes les époques placés côte à côte à l’exposition universelle de 1855. La monotonie de l’aspect semblait faire de cette série de scènes différentes une simple collection de redites : afin de restituer à chaque toile sa signification propre, on dut, au bout de quelques jours, disséminer ce qu’on avait d’abord réuni avec plus de respect pour un grand talent que de véritable prudence.

Les lithographies de Decamps, pour être appréciées à leur valeur, auraient de même besoin de n’apparaître qu’à une certaine distance les unes des autres. Lorsqu’on en examine l’ensemble, lorsque le regard parcourt sans intervalle la suite des pièces composant le recueil, il est difficile de ne pas se lasser assez vite de cette méthode immuable, de cette vigueur dans l’exécution manifestée à tout propos et comme attrister par une volonté absolue ; mais si, au lieu d’embrasser d’un seul coup d’œil ces dessins ou ces croquis très peu dissemblables dans les formes malgré la diversité des thèmes choisis, on prend le temps de les étudier séparément, nul doute que les mérites de chaque série ou de chaque pièce ne produisent sur l’esprit un effet contraire à l’impression qu’auraient laissée le rapprochement et l’examen du tout. Je me trompe : parmi les suites sur différens sujets publiés par Decamps, il en est une qu’il ne suffirait pas d’isoler du reste, et qu’on voudrait, pour l’honneur du maître, pouvoir absolument retrancher. Tâchons au moins d’oublier ces tristes caricatures où le crayon d’un artiste mieux inspiré d’ordinaire n’a pas craint d’outrager la vieillesse d’un roi, d’insulter aux malheurs d’un proscrit : mauvaises œuvres à tous égards, d’où le talent est aussi formellement absent que le plus vulgaire sentiment de respect, de pitié même, et dont aucun juge, si indulgent qu’il soit, ne saurait excuser la brutalité pittoresque, encore moins absoudre l’esprit. En tenant pour non avenues les regrettables satires crayonnées par Decamps pendant les premiers mois qui suivirent la révolution de juillet, on ne ferait au surplus que s’associer à un désaveu dont il semble de son côté avoir senti la convenance, puisque, après s’être fourvoyé un moment dans cette voie indigne de l’art et de lui-même, il en sortit pour n’y plus renter.