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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/596

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Gavarni n’est donc pas seulement un homme d’esprit, un littérateur qui dessine; c’est aussi un artiste dans la stricte acception du mot, un imitateur clairvoyant de la nature, aussi bien en garde contre la copie à outrance que contre les formules incomplètes, pédantesques ou convenues. Vraies avant tout par le caractère général, par la physionomie dominante, par l’accent et l’harmonie de l’ensemble, ses œuvres ont aussi cette vérité qui résulte de la ressemblance matérielle, de l’expression exacte des détails. De là l’incontestable supériorité de ce talent sur l’habileté factice des dessinateurs satiriques qui se sont succédé depuis quelques années. Parmi ceux dont les noms sont aujourd’hui populaires, quel rival trouverait-on à opposer à Gavarni? Ce serait faire injure à ses travaux si délicatement inspirés, si variés et si élégans dans la pratique, que de les rapprocher des âpres et monotones croquis de Daumier ou des espiègleries crayonnées à tout propos par Cham. Que le besoin de gaîté et le rire prompt, que le goût pour les épigrammes burlesques trouvent leur compte dans ces dessins, je le veux bien; mais l’art et l’instinct de l’art n’y ont que fort peu à voir, et ce n’est pas là sans doute qu’il conviendra de chercher des exemples d’atticisme pittoresque. Pour rencontrer, sinon des équivalens, du moins des témoignages à peu près analogues aux preuves fournies par Gavarni, il faudrait consulter des œuvres qui n’appartiennent ni à la lithographie, ni à notre époque, et peut-être remonter jusqu’à Hogarth. Encore le peintre du Mariage à la mode, de la Vie d’une Courtisane et de tant d’autres tableaux de mœurs diversement intéressans a-t-il dans le style une tension et dans le faire une recherche dont la manière du dessinateur français est exempte. Aussi dramatique à ses heures, aussi ingénieux d’habitude que le talent du maître anglais, le talent de Gavarni s’exprime en termes plus clairs et plus faciles. Au lieu de compliquer une scène de mille allusions partielles, de détails laborieusement assortis, il demande seulement au jet d’une figure ou aux rapports de celle-ci avec les figures qu’elle avoisine ce que bien souvent Hogarth s’épuise à chercher dans le rapprochement de certains objets inanimés. En un mot, il rend sensibles au premier aspect les intentions qu’il a eues, les formes qu’il a entendu retracer : chez Hogarth au contraire, les apparences ont quelque chose d’embarrassant pour les yeux comme pour l’esprit, et ce n’est pas sans de longs efforts d’attention qu’on parvient, — si même on y réussit toujours, — à démêler le sens caché sous ces dehors énigmatiques.

A n’envisager les œuvres de Gavarni que dans le milieu même où elles se sont produites et relativement aux autres travaux de notre école moderne, ces modestes œuvres, osons le dire, méritent d’être comptées parmi les meilleures et les plus durables. Qu’on réduise