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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/607

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l’Apocalypse, il faut avoir une notion claire du genre auquel elle appartient, notamment du livre de Daniel. Il faut ensuite se rappeler la situation politique et religieuse où elle se produisit. Dès lors l’explication de cette œuvre étrange s’opère sans le moindre effort, et il en résulte un jour nouveau et fort curieux sur un moment de l’histoire romaine et de l’histoire de l’église dont peut-être on n’avait pas encore exactement saisi le vrai caractère.


I

L’Apocalypse, qui au premier abord produit presque l’effet d’un miracle écrit, se naturalise vite en quelque sorte, dès que l’on a une idée générale des apocalypses. J’entends par là que le nom propre par lequel nous désignons le dernier livre du Nouveau Testament est en réalité un nom commun qui, dans l’original, devait être suivi du nom de l’auteur pour qu’on sût ce dont il était question (sans quoi il eût signifié simplement « révélation »), et que ses énigmes, en apparence indéchiffrables, se devinent aisément quand on est familiarisé avec le langage et le point de vue constant des nombreux ouvrages similaires que produisit l’antiquité juive et chrétienne.

Le genre apocalyptique, — car ce fut un genre nettement caractérisé de littérature religieuse, — remonte au livre de Daniel (vers 164 avant Jésus-Christ), qui en a fourni le type premier et fixé les formes essentielles. Nous ne voulons pas chercher plus haut l’origine de cette manière de comprendre et de formuler l’histoire. Nous n’examinerons pas jusqu’à quel point elle serait un emprunt fait, avec plusieurs autres, à la Perse par la Judée. Il semble aujourd’hui que dans l’antiquité les emprunts proprement dite sont rares d’une religion à l’autre, et dans les questions de cet ordre le plus probable est ordinairement qu’avant tout contact certains germes existaient, qui d’eux-mêmes eussent probablement donné plus tard ce qu’ils ont donné plus tôt sous l’influence de plantes voisines, analogues, déjà en pleine floraison. C’est ainsi que s’expliquent le mieux les notables ressemblances qu’on peut constater entre plusieurs enseignemens du mazdéisme, la moins polythéiste des religions païennes, et le judaïsme des derniers siècles qui ont précédé l’ère chrétienne. Comme les doctrines de la chute, de la résurrection, des anges, des démons, l’apocalyptique juive doit beaucoup aux relations des Juifs avec la Perse, sans qu’on soit tenu pour cela de voir en elle une plante exotique acclimatée artificiellement. En fait, elle pouvait sortir sans violence de l’ancien prophétisme, qui lui-même fut le fruit naturel du vieux monothéisme sémitique.

A mesure en effet que ce monothéisme acquit la conscience de