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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/614

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Les violences du général romain furent l’occasion d’une nouvelle apocalypse. Cette fois l’auteur s’adressa au monde entier sous le nom de cette sibylle qui passait pour avoir, dans les anciens temps, prédit le sort futur des états et la série des révolutions de l’histoire. Certains indices donnent lieu de penser que Virgile a lu, sans en connaître l’origine[1], cette production apocalyptique dont le succès engendra les nombreuses imitations juives et chrétiennes réunies aujourd’hui dans le corps volumineux des Oracula Sibyllina. La sibylle en effet n’était pas nécessairement une devineresse païenne. Dans les théories mythologiques de l’antiquité, elle passait pour l’organe de la nature primitive, indépendante des sacerdoces et des sanctuaires officiels. Elle était donc comme une prêtresse de la religion primordiale, set voila pourquoi son nom servit si souvent de couvert aux oracles fabriqués pour consoler les croyans et menacer les impies.

Inutile d’ajouter que la sibylle du temps de Pompée ne fut pas plus clairvoyante que ses sœurs. Loin de là. L’an VI de notre ère, la déposition du roi Archélaus par ordre de l’empereur Auguste, suivie de la dévolution du pouvoir suprême en Judée à un procurateur romain, ne laissa plus au peuple juif qu’une ombre d’autonomie. Alors éclata la révolte de Juda le Galiléen, révolte qu’il fallut étouffer dans le sang; mais alors aussi se mit à poindre la douce et rayonnante lumière qui devait séparer graduellement la grande espérance du royaume de Dieu des scories qui en ternissaient la pureté, sans toutefois transporter d’emblée hors du cercle apocalyptique les premiers hommes qu’éclaira sa sereine lueur. Les idées apocalyptiques, bien que déjà plus élevées, demeurèrent très puissantes sur l’esprit des premiers chrétiens. Ils attendirent du Christ, lors de son retour, ce que le Christ, pendant sa vie, n’avait pas voulu leur donner, et vers la fin de la génération née avec lui, vers l’an 68, le règne et la personne de Néron donnèrent un nouvel essor à ces rêves ardens. C’est alors que parut la première apocalypse chrétienne, celle que nous appelons l’Apocalypse, et qu’il suffit en ce moment de mentionner à sa place historique.

Environ douze ans plus tard, vers l’an 80, sous Titus, parut un nouvel oracle sibyllin qui crut voir dans cette terrible éruption da Vésuve dont Herculanum, Pompéi, Pline l’Ancien, furent victimes, le signe annonciateur de « la fin des temps[2]. » Le règne de Donatien, ce second Néron, également maudit des chrétiens et des Juifs, eut aussi son apocalypse : ce fut le livre apocryphe connu sous le nom de IVe d’Esdras[3], qui eut la chance malheureuse d’annoncer

  1. Voyez surtout la description de l’âge d’or dans la quatrième églogue.
  2. Orac. Sibyll., IV, 47, suiv.
  3. M. Volkmar vient de publier un commentaire sur ce livre à Tubingue, chez Fries.