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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/637

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le fut du côté protestant par l’intérêt de la polémique. Au contraire, quand les passions confessionnelles se furent calmées et que le besoin d’un christianisme large et rationnel se fit toujours plus sentir, l’Apocalypse fut un des livres que la critique élimina le plus ordinairement de la liste des écrits apostoliques. On peut même dire qu’il y a une trentaine d’années l’authenticité en était généralement contestée par les théologiens qui se piquaient d’indépendance et de savoir. On avait repris le vieux dilemme alexandrin en le fortifiant d’une foule de considérations très puissantes : ou le quatrième Évangile, disait-on, ou l’Apocalypse est de l’apôtre Jean; mais il est impossible que les deux livres proviennent du même auteur. Et comme on se croyait autorisé à affirmer l’authenticité de l’Évangile, comme au fond l’authenticité de celui-ci paraissait beaucoup plus nécessaire, on rejetait celle de l’Apocalypse. Quelques-uns seulement se demandaient si l’on ne pouvait pas admettre que l’auteur de l’Apocalypse, réfuté par les événemens de la manière la plus péremptoire, se fût débarrassé, sous le coup de cette rude expérience, des étroitesses rabbiniques auxquelles il n’avait que trop sacrifié, et eût échangé son matérialisme religieux contre le spiritualisme élevé qui inspire l’Évangile. D’autres difficultés alors surgissaient. On aurait dû tout au moins trouver dans l’Évangile de Jean des traces de cette crise intérieure, de même qu’à chaque instant, en lisant les épîtres de Paul, on rencontre des allusions directes ou indirectes à sa conversion sur le chemin de Damas.

Vint enfin l’école de Tubingue avec son radicalisme critique. Celle-ci déclara que, des deux livres, le seul qui pût avoir l’apôtre Jean pour auteur était l’Apocalypse qui, par la date et le contenu, remontait évidemment à l’âge apostolique, tandis que l’Évangile appartenait à une période ultérieure du développement de la pensée chrétienne. Voilà comment l’extrême gauche avec sa critique audacieuse, l’extrême droite par esprit de conservation, se donnaient la main sur la question de l’authenticité de l’Apocalypse.

La manière dont à Tubingue on étayait la thèse de l’authenticité ne laissait pas que d’être fort spécieuse. On relevait le ton d’autorité que prend l’auteur vis-à-vis de tout un corps d’églises, le nom de Jean qu’il se donne, et qui en un tel temps, en un tel milieu, ne pouvait indiquer que le Jean connu de tous les chrétiens comme un des apôtres fondateurs de l’église. D’ailleurs, ajoutait-on, tout ce que nous savons de l’apôtre Jean correspond exactement avec ce que l’Apocalypse laisse deviner. Dans les Évangiles, cet apôtre reçoit le surnom de Boanerge[1], c’est-à-dire fils du tonnerre, par

  1. Marc, III, 17.