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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/752

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note, adressée à la France, eut la bonne idée de sonner le rédacteur à l’esprit doux et à l’humeur conciliante ; mais nous doutons qu’il ait à s’applaudir d’avoir appelé l’écrivain altier et ironique afin d’écrire le romanesque mémoire sur la négociation de 1815 et le refus péremptoire d’accepter la conversation sur les provinces polonaises annexées à la Russie, pour lesquelles il avait été stipulé à Vienne au même titre que pour les provinces polonaises attribuées à la Prusse et à l’Autriche. C’est cette fausse histoire des négociations de Vienne, c’est cette prétention d’exclure de la controverse les provinces polonaises, qui ont amené lord Russell à déclarer que la Russie a perdu le titre de possession qu’elle puisait dans un acte européen. Le prince Gortchakof se figure qu’il a cause gagnée parce que l’Angleterre dit qu’elle ne fera pas la guerre, parce que l’Autriche sera trop heureuse de s’abriter sous l’exemple de l’Angleterre, parce que la France a déclaré que, la question étant européenne, elle répudie toute action isolée, et ne veut rien faire qu’à trois. Soit : nous voilà entrés dans la période souhaitée par la cour de Pétersbourg, la Russie est laissée en tête-à-tête avec sa victime ; mais l’Europe en même temps est aussi laissée tout entière au spectacle de ce duel atroce entre l’oppresseur et l’opprimé. Son attention n’est plus détournée et amusée par la diversion de la dispute diplomatique ; elle n’est plus aux écoutes pour entendre ce qui se murmure à Vienne, à Londres, à Paris ; elle ne perd plus son intelligence à suivre les subtilités des notes ; elle n’occupe plus sa curiosité à deviner par quel artifice on pourra du traité de Vienne faire sortir la renaissance de la Pologne. Elle n’aura plus devant elle que le fait brutal, la sanglante tragédie. Ils sont partis, les diplomates s’étudiant au beau style et aux belles manières ; il ne resté que les Berg, les Mouravief, les Annenkof, les hommes qui commandent les confiscations et les supplices, qui dirigent l’expatriation et la transportation de populations entières, qui excitent contre les foules désarmées une soldatesque sauvage, et s’efforcent de corrompre les paysans par les tentations les plus perverses, en un mot les Marat et les Carrier d’un terrorisme froidement organisé au nom d’une cause qui se prétend conservatrice et monarchique ! Persécution religieuse, meurtre et pillage, voilà les scènes auxquelles la Russie convie l’Europe attentive ! Croit-on que ce spectacle sera longtemps enduré ? pense-t-on qu’il ne parlera pas aux sentimens de l’Europe avec une bien autre puissance que des notes d’hommes d’état ? se figure-t-on qu’il ne fera pas bien plus que des négociations chicanières pour dissiper les défiances qui divisent les peuples dont l’union pourrait sauver la Pologne ? Nous acceptons la déclaration de lord Russell : « la domination russe n’a plus de titres ; la Russie n’est plus en Pologne, comme au moment du partage, qu’à l’état de conquérante. » Il s’agit donc simplement pour l’Angleterre, pour l’Allemagne et pour nous, de savoir si nous allons renouveler la honte et le scandale du dernier siècle, et si nous laisserons s’accomplir la spoliation nouvelle de la