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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/76

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leur philosophie, Rome ne peut plus être ce qu’elle était quand, sur un petit territoire, dénuée de richesses, luttant pour son existence, ne faisant que des conquêtes défensives, elle ignorait que la philosophie existât, et ne connaissait que l’art et la science étrusques. Il fallait que la république romaine se transformât; mais cette transformation était bien difficile. Plus un corps est dur, moins il est malléable; plus un organisme est fort, moins il est souple. La transformation ne s’est point faite, et la république a péri.

Dans un tel état de choses, en présence de cette lutte de l’ancien esprit, qui voulait conserver Rome telle qu’elle avait été jusqu’alors, ce qui était impossible, et de l’esprit nouveau, qui aspirait à la métamorphoser, ce qui était dangereux, les politiques furent partagés : les uns voulaient faire durer le passé, les autres cherchaient à préparer l’avenir. L’effort des premiers a été stérile, la tentative des seconds a échoué. Rome s’est agitée et s’est déchirée sans fruit dans la longue agonie de sa liberté, qui était robuste, car elle a mis près d’un siècle à mourir.

Avant que cette agonie ait commencé à Marius pour finir à César, deux types se présentent, — l’un, des hommes qui embrassent le passé sans pouvoir le ranimer : c’est Caton le Censeur; — l’autre, de ceux qui s’efforcent, hélas! en vain de fonder l’avenir : ce sont les Gracques.

Caton est un Romain ou plutôt un Sabin primitif. La gens Porcia d’où il sortait, et qui devait à l’élève des porcs son nom rustique, laissé par elle à Monte-Porzio près de Frascati, était établie à Tusculanum, mais devait venir de la Sabine, qui n’en est pas loin, et où Caton lui-même avait une partie de son héritage paternel. Les deux surnoms de ce Porcius, Priscus et Cato, étaient sabins[1]. Il avait les yeux bleus[2] et les cheveux roux des Sabins, la vigueur, l’austérité, la rudesse de la race sabine. Je ne l’appellerai pas le dernier des Romains, mais le dernier des vieux Sabins.

Ses modèles furent son voisin de campagne Manius Curius Dentatus et son général Fabius, tous deux de même race que lui; aussi

  1. Priscus comme Cascus, ancienne dénomination des Sabins, ne peut vouloir dire l’ancien pour le distinguer de Ciaon d’Utique, car il s’appela Priscus avant de s’appeler Cato (Plut., Cat. Maj., I). I,a terminaison en o est pour moi une terminaison sabellique : cato était la forme sabine du mot latin catus.
  2. Comme Sylla de la gens Sabine des Cornelii (voir une épigramme contre Caton citée pur Plutarque, ibid.).