Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Disons d’abord à ceux qui confondent les lois agraires des Gracques avec le partage de la propriété que toute loi concernant l’ager publicus, les terres de l’état, s’appelait à Rome loi agraire, lex agraria. Ainsi Cicéron a prononcé à Rome deux discours contre la loi agraire du tribun Rullus, qui proposait de distribuer des terres à des colons en Campanie, ce qui en soi n’était pas plus révolutionnaire que de donner en Algérie des terres à nos colons. Chez les Romains, le plus souvent le terme de loi agraire a désigné des mesures à prendre pour faire rentrer dans le domaine de l’état et appliquer aux besoins des citoyens pauvres des terres dont l’usufruit avait été concédé à des patriciens, et que, contre toute justice et toute légalité, ils voulaient retenir comme leur propriété. C’est de cette prétendue propriété, usurpée par les patriciens, qu’on eût pu dire : La propriété, c’est le vol!

Dans l’origine, quand les plébéiens n’avaient aucune puissance, les patriciens pouvaient s’adjuger sans partage les terres prises à l’ennemi : cependant, même sous les rois, il est parlé de terres divisées entre tous les citoyens; mais aussitôt que les plébéiens eurent dans les tribuns des défenseurs et des garans de leurs droits, les réclamations touchant l’emploi du territoire public commencèrent.

La première victime des lois agraires fut Spurius Cassius, un patricien généreux, qui demanda que les terres conquises sous son commandement fussent partagées entre les plébéiens. Les plébéiens, trompés, abandonnèrent Cassius. Les patriciens le mirent à mort, ou, selon d’autres récits, son père le pendit de ses propres mains dans sa maison. Licinius Stolo et son gendre Sextius parvinrent à établir que l’occupation des terres publiques serait renfermée, pour chacun des possesseurs, dans de certaines limites; mais cette loi n’empêcha point le mal, et Plutarque nous apprend par quels artifices les patriciens parvinrent à l’éluder : ils haussaient le prix du fermage payé à l’état, et par là forçaient les pauvres à y renoncer, ou occupaient sous des noms supposés un terrain dont l’étendue dépassait celui que la loi leur permettait de posséder. Enfin, non contens d’éluder la loi, ils la violaient ouvertement, « et à la fin, sans