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d’hommes à se soumettre contre leur gré à votre gouvernement. — C’est là un étrange argument dans la bouche d’un Européen; quand on pense à ce qu’a été l’Europe pendant les soixante dernières années, à ce qu’a été l’Italie jusqu’en 1859, quand on songe à la Pologne, à l’Irlande, à l’Inde ! Mais admettons la vérité de cet aphorisme historique : le peuple triomphe toujours. Il faut remarquer que dans les états du sud les lois relatives à la propriété, les coutumes locales et l’esclavage donnent aujourd’hui au système social le caractère aristocratique et non le caractère démocratique. L’oligarchie de ces états a montré d’année en année des dispositions plus acerbes et plus agressives, jusqu’à ce que l’instinct, de notre propre conservation nous ait forcés de lui faire la guerre. Et l’objet de cette guerre est précisément de détruire la mauvaise constitution de la société dans le sud, de détruire ce qui en empêche la reconstruction, sur une base solide et rationnelle. Cela fait, de nouvelles affinités entreront en jeu. Les vieilles répulsions s’effaceront, la cause de la guerre supprimée, la nature et le commerce nous donneront, ayez-en la confiance, les moyens d’établir une paix durable. Alors cette race malheureuse et souffrante à laquelle la proclamation de M. Lincoln a rendu la vie perdra elle-même quelque chose de cette abjection qui pendant des âges est restée gravée sur ses traits de bronze, de cette langueur qui s’est exhalée dans les soupirs de sa plaintive musique. Cette race, naturellement bonne, docile, industrieuse, qui doit son malheur aux services mêmes qu’elle est si apte à rendre pourra, dans un âge plus moral, non-seulement défendre son indépendance, mais encore prendre sa place dans une grande nation. »

Les amis de la liberté humaine peuvent à bon droit se féliciter des résultats politiques de la guerre civile des États-Unis, et auraient tort de s’exagérer les périls de l’avenir. La liberté, guérira les maux causés par l’esclavage : une démocratie qui a su déployer tant d’énergies de ressources, de patriotisme et d’intelligence ne laissera pas compromettre l’œuvre des deux dernières années, et prendra des garanties contre le retour des crises révolutionnaires. Les hostilités, actuelles ne peuvent finir par de simples traités de paix : il faut qu’elles aboutissent à des actes qui consacrent d’une manière définitive la ruine de l’esclavage; mais que les états même aujourd’hui favorables à l’institution servile ne s’effraient-pas d’un tel résultat, car la ruine de l’esclavage sera pour eux le commencement d’une vie nouvelle.


AUGUSTE LAUGEL.