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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/912

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prières et entonnent des chants funèbres; puis à un moment donné un des assistans sort du temple et rend la liberté à un pigeon blanc qu'il avait tenu enfermé dans une petite cage. Cet acte symbolique terminé, tout le monde quitte l'église. Le cercueil est placé sur un brancard et porté au cimetière. Il est d'usage de marcher alors à grands pas, sans parler ni pleurer. Ces convois blancs, passant vite et en silence, ont quelque chose de singulièrement lugubre et laissent dans l'âme une vive impression de tristesse et de douleur. Je dois remarquer cependant qu'en général les Japonais entourent la mort de moins de regrets que ne le font les peuples chrétiens.

Sur le haut des collines, à l'extrémité de la plaine, je m'arrêtai quelques instans dans une maison de thé, où je fus servi par une vieille bonne femme qui me vendit et m'expliqua le plan de la cité sainte de Kamakoura. Les maisons de thé sont, comme je l'ai déjà fait observer, extrêmement nombreuses dans toutes les parties du Japon. Le choix des sites où on les construit d'ordinaire caractérise bien un goût généralement répandu chez les Japonais : le sentiment des beautés de la nature. Chez aucun autre peuple, je ne l'ai vu développé à ce point. Dans tous les lieux accessibles d'où l'œil peut embrasser un paysage attrayant, une maison de thé invite les passans à s'arrêter pour jouir un instant du spectacle qui se déploie devant eux. Sur les routes fréquentées, l’établissement devient une grande auberge où une vingtaine de jeunes filles alertes font le service des nombreux voyageurs. Dans les lieux plus écartés, c'est tout simplement une maison en miniature, bâtie en bois et en papier et couverte d'un toit en chaume; une famille, composée du père, de la mère et d'une nichée d'enfans, gagne là sa vie, Dieu sait comment. Jusque dans les endroits qui paraissent tout à fait abandonnés, et où les caprices de la fantaisie conduisent le promeneur par des sentiers couverts d'une herbe épaisse qui semble n'être jamais foulée, sur le bord des ruisseaux, près des lacs et des cascades que l'on rencontre fréquemment, sont disposés de gracieux bosquets, quelquefois vides, mais le plus souvent habités par une vieille femme qui a établi sur un banc son modeste ménage ambulant : quelques tasses, des théières et un chibats ou brasero. Pour un szeni, c'est-à-dire pour la centième partie d'une pièce de monnaie qui ne vaut pas quatre sous, le voyageur japonais reçoit en échange une tasse de thé et une petite coupe de riz; il ne s'éloigne pas avant d'avoir fumé quelques pipes pendant qu'il jouit silencieusement du spectacle qu'il a sous les yeux.

En descendant des collines au sommet desquelles je m'étais reposé, on traverse une nouvelle plaine dont les beaux arbres, les champs bien cultivés, les nombreux villages, les fermes et les temples