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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/99

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comprend que c’est sa destinée, il se dévouera connue son frère et finira comme lui.

A peine nommé tribun, Caïus éleva la voix contre les meurtriers de ce frère, puis s’acquit grandement la faveur du peuple par des distributions de terres publiques dans plusieurs villes qu’il repeupla et par des distributions de blé qui devaient être faites aux citoyens pauvres, obligés de payer seulement une partie du prix. Cette loi était d’un mauvais exemple, j’en conviens; mais les spoliations des patriciens avaient tellement appauvri les citoyens, qu’il fallait leur venir en aide de quelque manière. Cette loi pouvait se défendre par la nécessité, comme la loi des pauvres, elle aussi très mauvaise en principe. Pour ces distributions, il fallait de vastes greniers publics; Caïus Gracchus en fit construire plusieurs et les établit avec un soin minutieux. Ces greniers, dont l’emplacement n’est point indiqué, devaient être dans le quartier des greniers et des marchés au blé, aux environs de la porte d’Ostie et du lieu de débarquement, Emporium, qui n’a pas changé depuis les Romains. Quand la popularité de C. Gracchus fut bien établie, il proposa une mesure hardie : c’était d’accorder le droit de cité à tous les alliés. Ceci est l’autre partie de l’œuvre des Gracques. Par la loi agraire, ils voulaient créer une démocratie propriétaire et libre; ils voulaient aussi, et cette gloire n’est pas pour eux moins grande que l’autre, ils voulaient créer une Italie.

A Rome, il y eut toujours alliance entre la pensée démocratique et la pensée italienne, et cette alliance existe encore. Le premier auteur des lois agraires, Spurius Cassius, fut aussi accusé d’avoir voulu trop faire pour les Latins. Tiberius Gracchus laissa voir des desseins favorables à l’Italie, qu’il n’eut pas le temps de pousser sérieusement. Cependant il est dit qu’il était considéré par le peuple comme le fondateur non d’une ville ou d’une race, mais de tous les peuples de l’Italie. Ce qui avait détaché de Cassius les plébéiens de Rome, jaloux alors de leurs droits, c’était de vouloir les leur faire partager avec d’autres peuples italiotes; aujourd’hui la pensée de la fondation d’une Italie les attachait à Tiberius et excitait leur enthousiasme. Il y avait là de leur part un progrès sur la vieille politique égoïste de Rome, à laquelle le sénat restait fidèle. C’est néanmoins à Caïus Gracchus que revient l’honneur d’avoir proposé l’extension du droit de suffrage à tous les Italiens. Cela était d’autant plus nécessaire au succès de ses plans que les lois agraires déplaisaient aux alliés, parmi lesquels il en était beaucoup qui participaient à l’usurpation des terres publiques menacées par la loi agraire, et qui, bien que ces terres ne fussent point leur propriété, ne se souciaient pas de les rendre; mais l’égalité politique pouvait