Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chaîne protectrice, il a fallu la remplacer par une digue en gros blocs de pierre de taille, assez forte et assez bien reliée pour résister aux vagues formidables que les hautes marées et les tempêtes accumulent et soulèvent sur cette plage, exposée aux lourdes lames qui accourent du large.

Quand on visite les îles de la Zélande, on ne peut s’empêcher de frémir en songeant que tant de richesses agricoles sont réunies sur quelques bancs de boue figée, de toutes parts dominés par les eaux à marée haute. On conçoit que l’entretien et la conservation des digues sont ici plus que partout ailleurs une question de vie ou de mort. La moindre négligence peut entraîner de terribles désastres. Aussi les administrations des différens polders lèvent-elles une contribution spéciale pour l’entretien des digues. Cet impôt est extrêmement variable : il monte de 10 francs à 20 ou 30 francs et même plus haut encore. J’ai visité dans l’île d’Overflakkee des terres qui payaient 23 florins, soit environ 50 francs de dyk lasten ou frais de digues sur un revenu de 120 fr. Quand la charge devient par trop lourde et qu’on peut craindre que le propriétaire ne recule devant les dépenses d’un bon entretien, le polder est déclaré calamiteux, et alors la province et l’état interviennent dans les travaux, qui s’exécutent sous la direction des ingénieurs publics. Le principal danger qui menace les digues, ce n’est pas le choc direct des vagues : on parvient à en rompre les coups au moyen de pilotis, de fascines ou de revêtemens en pierre; mais le mal est à peu près sans remède quand, par suite des variations incessantes que subit le cours des eaux de la mer et des fleuves toujours en lutte, il s’établit un fort courant parallèlement au rivage, car ce courant creuse le fond et mine la base même de la digue, qui tout à coup s’effondre et disparaît, livrant passage à l’inondation, qui envahit les campagnes. Des polders, des villages florissans, comme Borrendamme, Rengeskerk, et tous ceux qui couvraient jadis la grande île remplacée aujourd’hui par le Biesbosch, des communes, des cantons entiers, ont disparu ainsi sous les flots. Rien cependant n’effraie le Zélandais, habitué à lutter contre la mer; rien ne lasse son indomptable persévérance. Quand il voit qu’une digue est minée et que rien ne peut la sauver, il se résigne, il fait la part de l’eau, et reconstruit une nouvelle digue quelques centaines de mètres en arrière. De cette manière il gagne du temps, et il peut attendre que le courant change de direction. Il ne faut pas qu’on croie au reste que, par la rupture d’une digue, toute une île soit perdue. Les eaux débordées n’envahissent que le premier polder, le plus récemment conquis; elles sont arrêtées par la digue du polder plus ancien, car les îles zélandaises sont formées, comme on peut s’en assurer en