Goethe, dans une de ses conversations avec Eckermann, nous a prévenus lui-même loyalement du danger qu’il y aurait à vouloir fouiller trop profondément les arcanes de sa pensée et les mystères de ses conceptions. « Les lettres que Schiller m’a écrites sur Wilhelm Meister, disait-il, contiennent des vues et des idées de la plus haute importance ; mais cet ouvrage est au nombre des productions qui échappent à toute mesure ; moi-même, je n’en ai pas la clé. On y cherche un point central ; or il est difficile qu’il y en ait un, et même cela ne serait pas bon. Une existence riche et variée qui se déroulerait devant nos yeux serait aussi un tout, un ensemble, une œuvre naturelle, sans aucune tendance exprimée, car une tendance n’est pas quelque chose de réel, ce n’est qu’une conception de notre esprit. »
Il en est en effet d’une grande œuvre d’art comme des productions de la nature : la vie envahissante recouvre bientôt les principes sur lesquels elle repose, la végétation de la pensée met à néant la semence première, la forme prend possession de l’idée, la recouvre et la voile, et l’artiste lui-même, entraîné par cette tyrannie