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non sans difficulté, après quatre jours entiers de retard, les défilés montagneux dont quelques bandes armées prétendaient lui interdire l’accès nonobstant les ordres du souverain, arriva le 8 avril devant les fameux minarets de Ghuznee[1], et le 25 fit son entrée solennelle à Kandahar, où elle demeura pendant tout le reste de son séjour chez les Afghans, l’émotion populaire causée par les événemens de l’Inde n’ayant jamais permis à l’émir de mander auprès de lui ces hôtes incommodes, qu’il ne voulait ni protéger trop ouvertement, ni exposer à la haine dont ils étaient l’objet. Le mandat spécial des envoyés anglais avait d’ailleurs pris fin dès leur arrivée, la paix entre l’Angleterre et la Perse ayant été signée à Paris six jours avant qu’ils eussent quitté Peshawur[2]. Ils n’en restèrent pas moins à leur poste, inutilement périlleux, jusqu’au 15 mai 1858, date précise de leur départ, ayant donc ainsi vécu plus d’un an au centre même de ce pays, dont aucun de leurs compatriotes n’eût impunément franchi la frontière pendant les quinze années précédentes.

Le soin de raconter les incidens de cette mission politique semblait dévolu à l’officier éminemment distingué qui en avait la direction suprême, mais une tâche de si longue haleine n’a sans doute pas trouvé place dans l’existence active du commandant des guides, investi coup sur coup, dès son retour dans les provinces du nord-ouest, des fonctions les plus absorbantes. Fort heureusement pour nous, il était accompagné d’un médecin militaire, M. H. W. Bellew, à qui sa profession donnait des privilèges spéciaux, et dont les études variées faisaient un observateur plus complet peut-être et mieux qualifié que son chef lui-même. C’est de son Journal, fort exactement tenu, c’est aussi de l’étude historique placée en tête de ce journal que nous essaierons de tirer quelques renseignemens sur un pays strictement interdit à la curiosité des voyageurs ordinaires, et sur lequel il n’existait, avant le voyage d’Elphinstone, aucune indication de quelque valeur. Pour les compléter, nous puiserons au besoin dans les souvenirs autobiographiques d’un jeune Anglais, ramassé tout enfant sur le champ de bataille de la vallée de Tezeen, où les débris de l’armée anglaise, après l’évacuation de Caboul, furent cernés et massacrés à loisir, et qui, après toute sorte d’aventures plus ou moins authentiques, est parvenu à reprendre sa place parmi ses compatriotes. Ce personnage, auquel les plus grands noms officiels de l’Inde anglaise (lord Elphinstone, sir John Lawrence,

  1. Deux grosses tours de briques rouges, finement sculptées et décorées d’anciennes inscriptions arabes. Situées à près de 300 mètres l’une de l’autre, elles passent pour marquer les limites de ce qui était autrefois la salle où le fameux sultan Mahmoud donnait ses audiences publiques.
  2. Le 4 mars 1857.