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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/252

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facilement. La scène a été un peu resserrée dans les bas côtés. M. Bagier, qui a bien voulu accepter le privilège du Théâtre-Italien sans la subvention de 100,000 francs qu’on avait accordée à ses prédécesseurs depuis la direction de Ronconi, a cru devoir prendre une mesure qui ne me semble pas des plus heureuses. On veut donner cinq représentations par semaine sans diminuer les prix élevés qu’on a mis aux places les plus modestes; je doute fort que cette innovation produise les résultats qu’en attend la direction.

Quoi qu’il en soit de ces changemens, disons seulement quelques mots aujourd’hui des nouveaux chanteurs qui composent la troupe formée par M. Bagier. Mme Anna de Lagrange, qui a débuté dans la Traviata, est une Française, et, je crois même, une Parisienne. Elle se fit entendre, il y a une quinzaine d’années, au théâtre de la Renaissance, où l’on donnait une représentation extraordinaire au profit des Polonais, si je ne me trompe. Mlle de Lagrange n’était alors qu’une cantatrice dilettante que le monde recherchait beaucoup pour sa belle voix et les grâces de sa personne. Depuis ces premiers essais, Mme Anna de Lagrange a beaucoup voyagé : elle a chanté dans les principales villes de l’Europe; elle a été en Russie, en Amérique, et elle vient de Madrid, où elle est restée plusieurs années. Sa voix, vigoureuse dans son ensemble, porte cependant déjà les traces du temps et de la fatigue. C’est une belle personne, grande, élancée, fortement constituée, et dont le visage exprime plutôt l’énergie que la sensibilité et le sentiment. Sa voix a le timbre d’un mezzo-soprano, bien que la cantatrice ne craigne pas de pousser son audace jusqu’à l’extrême limite du registre supérieur. Il résulte de ces efforts des effets désagréables, des sons faux et aigus, qui blessent l’oreille au lieu de la charmer. Pourquoi Mme de Lagrange ne reste-t-elle pas plus souvent dans le vrai domaine de sa voix sonore, qui s’étend du fa au la supérieur avec facilité? Ce qu’elle ajoute ensuite à ce beau registre, ces notes suraiguës dont elle se joue avec une si lourde coquetterie, sont d’un goût détestable. C’est en effet le goût qui manque au beau talent de Mme de Lagrange : elle ajoute à la musique qu’elle doit interpréter fidèlement des ornemens ridicules qui ne sont tolérables que dans la bouche de ce petit démon de Mlle Patti, qui va venir bientôt ensorceler de nouveau les Parisiens.

Avec Mlle de Lagrange, il s’est produit dans la Traviata un jeune ténor, M. Nicolini, qui n’est pas plus Italien que la cantatrice. Son nom véritable est Nicolas, et c’est sous ce nom qu’il a débuté, il y a quelques années, au théâtre de l’Opéra-Comique. M. Nicolini a une très jolie voix, un peu courte, mais timbrée et facile. Il chante sans efforts, avec sentiment et une modération de style que le public a su apprécier. C’est dans le Rigoletto de M. Verdi surtout que M. Nicolini a été fort agréable dans le rôle du duc, que M. Mario a rendu si difficile. Suffisant dans tous les morceaux qui lui sont dévolus,, M. Nicolini a particulièrement chanté avec grâce la douce cantilène du quatrième acte, — La donna è mobile; — il a aussi très bien