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pas. On peut en effet trouver quelque enfantillage à ce parti-pris, à cette affectation laborieuse de relever en plein XIXe siècle des monumens d’un autre âge. Quoi de plus artificiel que ce soin de reproduire avec une gaucherie volontaire les symboles hiératiques que préférait, qu’exigeait même le culte grec de Constantinople ou l’art réglementaire des temps gothiques? Cependant ne peut-on répondre que la religion tient à réunir la croyance aux vérités éternelles avec la fidélité aux souvenirs et aux traditions? Il est donc dangereux ou même impossible d’innover pour ainsi dire de toutes pièces dans la représentation de ses mystères et de ses dogmes. Il faut accorder beaucoup à l’usage. Après tout, les formes sous lesquelles depuis le XVIe siècle on a figuré les choses de l’Évangile ne sont guère moins conventionnelles, plutôt, il est vrai, par l’autorité des grands artistes que par celle de l’église. Un Couronnement de la Vierge du Corrège, une Sainte Famille de Raphaël, l’Assomption de Titien, la Descente de croix de Rubens, n’ont certainement rien de sacré ni d’historique. L’admiration et l’habitude en ont fait seules des types dont il est sage de se rapprocher; mais ce ne sera toujours qu’une imitation, une répétition sans originalité, une concession aux idées actuelles du clergé et du public, qui se sont accoutumés à voir le christianisme ainsi figuré. Il n’y a plus d’invention dans tout cela, et si, mettant de côté les intérêts de l’art, qui voudrait de continuelles créations, on s’occupait exclusivement des sentimens que doit nourrir et provoquer l’aspect de nos sanctuaires, les idées et les émotions chrétiennes ne seraient-elles pas pour le moins aussi vivement excitées et entretenues par la vue des premiers et naïfs symboles qui ont édifié la jeunesse de l’église que par le spectacle de l’Évangile transporté par Paul Véronèse dans un palais vénitien ou par Rembrandt dans une cave éclairée des reflets d’une flamme invraisemblable ? Admettons donc ces restitutions un peu arbitraires d’un passé maintenant mieux connu, et, sans les admirer avec excès, rendons justice au talent et surtout à l’industrieuse adresse qui façonne ces trompe-l’œil d’un nouveau genre. C’est tout au moins une curiosité distinguée, un goût intelligent qu’il faut tolérer, encourager même, pourvu qu’on n’en tire pas de conséquences trop favorables aux préraphaélites, car l’âge triomphal de l’art moderne doit toujours rester compris entre la jeunesse de Léonard de Vinci et la mort de Michel-Ange (1480-1564).

Au fond, sans peut-être le prévoir, les artistes allemands ont été ramenés à cette dernière idée par les travaux mêmes que le roi de Bavière leur a fait entreprendre. L’engouement mystique qui avait fait un principe d’esthétique de la proscription de l’art de Phidias comme de l’art de Raphaël est antérieur à ce qu’on peut appeler la