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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/274

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Les productions d’Apelle sont de plusieurs genres : nous les classerons afin de déterminer le cercle où il faut nous enfermer. Il n’a point décoré de monumens, comme Polygnote et Zeuxis; il n’a point jeté sur les murs des temples et des portiques ces vastes pages qui valaient un poème d’Homère ou un livre d’Hérodote. Il n’a retracé ni les luttes héroïques, ni les scènes de l’olympe ou des enfers, ni les batailles des peuples. Son imagination s’élève moins haut, ses sujets sont circonscrits, il s’attache à la nature autant qu’à la beauté, et comme il ne veut rien produire que d’accompli, il prend la mesure des forces humaines, et donne à ses cadres une proportion telle qu’aucun détail ne pourra être négligé par son pinceau. Épris de la réalité, nourri des principes que professait l’école de Sicyone, il était prédestiné à être un peintre de portraits; c’est par là qu’il commença sa carrière en aidant Mélanthe à peindre le tyran Aristrate. Attaché à la cour de Philippe et d’Alexandre pendant plusieurs années, il s’occupa uniquement d’immortaliser leurs traits. Les anciens, qui renonçaient à compter combien de fois il avait représenté Alexandre, n’en ont cité que trois images mémorables.

Le premier portrait montrait Alexandre triomphant, derrière son char marchait la Guerre, les mains enchaînées; le second le montrait couronné par la Victoire, tandis que Castor et Pollux se tenaient auprès de lui. Emportés à Rome et placés dans le forum d’Auguste, ces deux chefs-d’œuvre subirent le plus indigne des traitemens : l’empereur Claude fit gratter sur l’un et l’autre la tête d’Alexandre et peindre à sa place la tête d’Auguste.

Le troisième tableau, conservé dans le temple de Diane à Éphèse, représentait Alexandre tenant la foudre? il se révélait comme dieu, comme fils de Jupiter, et tel était l’éclat de cette peinture, la puissance du modelé, que la foudre et la main qui la portait semblaient sortir du cadre. Ainsi la flatterie asservissait aux rois la religion et leur prêtait les attributs des dieux, mais l’art tirait de cette nécessité de nouvelles ressources et tendait vers l’idéal. Au lieu de copier les souverains tels qu’ils étaient, et parfois dans leur laideur, les peintres se résignaient volontiers à les assimiler aux dieux. L’essence de l’art grec était de tout diviniser, c’est-à-dire de tout ramener à un type. Apelle avait donc créé l’idéal d’Alexandre. Lysippe, dans ses statues, figurait le roi la tête légèrement penchée sur l’épaule gauche, les yeux pleins de mollesse et de douceur, tandis que le front, par sa puissance et ses saillies, rappelait la face du lion. C’était le souverain bienfaisant qu’il montrait, tandis qu’Apelle faisait voir le conquérant plus rapide que l’éclair, le héros semblable aux dieux. Je crains que cet idéal n’ait flatté plus vivement Alexandre, car il répétait volontiers qu’il y avait deux Alexandre, le fils invincible de Philippe et le fils inimitable d’Apelle. Ce fils