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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/28

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qu’il devrait, dit-on, partager avec son frère, fit connaître, comme on sait, la peinture à l’huile au nord de l’Europe. C’est lui qui apprit à peindre aux Allemands ; mais il leur apprit la peinture flamande. L’école de Bruges, éminente pour la précision, l’exactitude, la finesse, la couleur, ne vise pas à l’élévation, et depuis que le mot fort commode de réalisme a été inventé, on le lui applique. C’est donc le réalisme que Martin Schoen rapporta de Bruxelles à ses compatriotes, et l’école des bords du Rhin, puis celle de la Souabe se modifièrent en se rapprochant de plus en plus de l’exacte nature. Ce qu’on appelle le rendu fut pour elle le comble de l’art. On suivit les maîtres flamands sans les égaler en délicatesse. Le premier Holbein que dix-huit tableaux nous font connaître à Munich montre, avec la sécheresse inévitable, un savant travail, un talent d’exécution qui serra de près la réalité en s’efforçant de ne pas l’enlaidir. Barthélémy Zeitblom a des qualités analogues, mais il est moins coloriste. Wohlgemuth les suit de près, et selon moi les dépasse. A Saint-Maurice de Nuremberg son saint George et son saint Sebald, à Munich sa sainte Catherine et sa sainte Barbe, ses scènes de la passion, du jardin des Oliviers à la résurrection, offrent cette singularité naïve qui fait sourire, cette sécheresse tranchante qui exclut le charme et la grâce; mais partout son pinceau habile et ferme atteint une vérité de ton et d’exécution qui élève parfois le naturel jusqu’au pathétique. J’admire son Crucifiement et sa Résurrection. Il annonce déjà son grand élève, Albert Dürer. Orfèvre, sculpteur, graveur, celui-ci avait acquis cette sûreté de main et cette franchise de contours qui ne produisent pas toujours des effets agréables, mais qui font partager au spectateur la confiance du peintre. On serait tenté de le prendre, sur la foi de ses gravures, pour un homme d’une imagination féconde et singulière, pour un dessinateur habile qui transporte dans la peinture l’âpreté du dessin linéaire, et qui rappelle sans les égaler le fini et l’éclat du coloris flamand; mais la comparaison de ses œuvres à diverses époques révèle bientôt un talent large et flexible qui s’assouplit et s’élève avec le temps et sort à volonté du cadre où il s’est formé. On reconnaît non pas seulement un artiste capable, mais un grand peintre. Sans doute si l’on débute par ses deux Baumgartner, on voit deux figures maigres, laides, étrangement accoutrées, qui, malgré leurs costumes et leurs armures, conservent un air bourgeois sous un titre et un ajustement chevaleresques. Elles grimacent un peu et n’en sont pas moins naturelles. Quant à la noblesse, à la grandeur, et surtout, chose plus précieuse, à la beauté, ne la cherchez pas là. De même à Nuremberg la Descente de croix, l’Ecce Homo, plus encore le Portement de croix à Munich et la Naissance de Jésus sont d’une main qui sait peindre, mais d’un esprit qui n’a rien vu.