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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/301

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l’appareil qu’elle doit mettre en mouvement surchargera la nacelle[1]. Il est clair que le perfectionnement projeté ne peut s’appliquer qu’aux aérostats gigantesques, infiniment plus grands que nos petits ballons capables de soulever deux ou trois hommes au plus. D’autres inventeurs ont proposé d’employer la machine à gaz Lenoir, qui est d’un poids moindre, qui dispense de chaudière, et supprime le feu ainsi que les dangers qui en résultent ; mais cette machine est encore d’un poids considérable et exige une abondante provision d’eau pour le refroidissement du cylindre. Tous ces obstacles ne sont pas insurmontables. Il suffit que la science n’indique aucune impossibilité à guider un ballon dans un air calme.

Supposons donc que l’on réussisse à installer dans la nacelle de l’aérostat un gouvernail ou une hélice directrice d’un effet certain et puissant : est-ce à dire que l’on aura découvert enfin la solution du problème? Pas encore, ou du moins la solution ne sera qu’incomplète. Le ballon sera dans les jours de tempête le jouet de l’atmosphère, comme le navire est le jouet des flots. Présentant une immense surface à l’action des vents, il se verra contraint de rester au port par le moindre zéphir qui fera rider la surface de l’eau : comme le roseau de la fable, tout lui sera aquilon. Qu’on en juge par un calcul bien simple : un tel ballon, s’il veut porter avec sa machine des passagers et des vivres, devra présenter une surface au moins aussi grande que la voilure d’un vaisseau de guerre. Or cette voilure, sous l’action de ce que les marins appellent une bonne brise, donne au navire la même vitesse que le ferait la machine à vapeur de 4 à 500 chevaux, son moteur en temps de calme. La machine de l’aérostat étant loin d’avoir cette puissance, tout ce que nous en pouvons attendre, c’est qu’il circulera assez lestement dans une atmosphère paisible, faisant quelques kilomètres à l’heure, décrivant des cercles ou des spirales aériennes. Ses voyages de circumnavigation auront pour limites le Champ-de-Mars ou tout au plus l’enceinte de Paris : spectacle curieux sans contredit, application ingénieuse de la science, mais résultat sans utilité et surtout sans valeur industrielle[2].

  1. On prétend que les mécaniciens ne se sont guère occupés jusqu’à ce jour de rendre les machines à vapeur légères. Dans les machines fixes ou locomotives, la masse est une garantie de solidité qui présente peu d’inconvéniens. M. Giffard, dont le nom reste attaché à l’un des plus précieux perfectionnemens de ces machines, a entrepris, lui aussi, de mettre la vapeur au service de l’aéronautique. Pour restreindre le poids de l’appareil, il le fait fonctionner a une très haute pression, 60 atmosphères au moins. La consommation de charbon diminue en même temps. Pour économiser l’eau, il invente, dit-on, un condensateur à grande surface d’un effet prodigieux. L’essai public de ce nouveau système se fera prochainement.
  2. Il faut encore compter au nombre des obstacles de la locomotion aérienne l’impossibilité de savoir le lieu où l’on se trouve. Perdu dans les nuages, le voyageur n’a connaissance de la route qu’il fait qu’autant qu’il communique avec la terre.