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III

Plusieurs années s’écoulent ici sans que l’ancien président du’ conseil reparaisse à la tribune. Tout entier à ses douleurs domestiques, il s’éloigne volontairement de l’arène. Il n’y rentre qu’au mois de mars 1841, pour soutenir le projet de loi sur les fortifications de Paris. Parmi les œuvres du gouvernement de juillet, c’est là une des plus contestables; mais les événemens d’Orient venaient de faire entrevoir la possibilité d’une guerre générale, et le souvenir des deux invasions de 1814 et de 1815 agissait fortement sur les imaginations. La question ne se présentait pas tout entière devant les chambres. Les travaux avaient été commencés par ordonnance; le ministère qui les avait décidés avait quitté les affaires; un ministère nouveau en acceptait la responsabilité. Il s’agissait de ménager la transition entre le cabinet guerrier de M. Thiers et le cabinet pacifique de M. Guizot. La loi des fortifications présentait, dans cette grande crise, une sorte de terrain commun où pouvaient se rencontrer les partisans de la guerre et ceux de la paix; c’est sans doute ce qui décida M. de Broglie à s’y placer pour tenter un rapprochement.

L’année suivante, un triste devoir lui fut imposé. Un accident funeste venait d’enlever à la France M. le duc d’Orléans, fils aîné du roi, qui ne laissait que deux enfans en bas âge. La charte ne contenait aucune disposition relative à la régence ; il fallut y pourvoir par une loi. On vit alors combien il importe que tout soit réglé d’avance dans la transmission du pouvoir suprême. C’est par là que les monarchies l’emportent sur les républiques; mais les monarchies elles-mêmes présentent un point vulnérable dans les minorités. Toutes les régences ont été plus ou moins des époques de troubles publics. La monarchie de 1830 n’eût pas plus qu’une autre échappé à cette fatalité. A qui appartiendrait la régence en cas de minorité? Cette question souleva des orages qui annonçaient d’avance la catastrophe. Le gouvernement proposait de suivre pour la régence les mêmes règles que pour la couronne, et de la donner de mâle en mâle à l’exclusion des femmes. L’opposition de toutes les couleurs soutint la régence des femmes, et c’est cette même question qui, reproduite brusquement en 1848, après l’abdication du roi, causa ce moment de vide et d’incertitude qui donna passage à la république. M. le duc de Broglie, rapporteur de la loi à la chambre des pairs, se prononça pour l’application de la loi salique. On sent à la gravité de sa discussion un profond sentiment des dangers que cette épreuve va faire courir à la monarchie.