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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/341

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« On prétend, dit-il, ne pas connaître les vices de la constitution, et on soutient que, si elle éprouve quelques difficultés dans sa marche, c’est la faute, non de l’institution en elle-même, mais des hommes qui se trouvent chargés de l’appliquer. Parlons franchement : on n’accuse pas les hommes, mais un seul homme, le président de la république. M. de Broglie n’a pas mission de le défendre; il n’est ni son ministre, ni son conseiller, ni son ami; il n’a fait connaissance avec lui que pour l’envoyer au fort de Ham, quand il a été appelé à le juger. S’il médite un 18 brumaire, M. de Broglie l’ignore et ne veut pas le supposer. Admettons pourtant que ce soit là sa pensée et que ce danger existe. Le président lui-même, qui l’a fait? La constitution. Demander au suffrage universel d’élire un président pour un grand pays unitaire comme la France, n’était-ce pas appeler de toute nécessité un prétendant à la présidence? Qui veut-on que les masses choisissent, excepté un homme dont le nom exerce sur elles un prestige superstitieux, ou par la grandeur de sa race, ou par l’éclat de ses aventures? Nous aurions Washington, John Adams, Monroë, en un mot un de ces républicains éclairés qui ont honoré les États-Unis, que la foule, qui saurait à peine leur nom, ne les nommerait pas. Si le président, une fois élu, est tenté de sortir de la constitution, encore ici à qui la faute? A la constitution même. Elle remet à un homme la disposition de la totalité, des forces d’une grande nation et l’environne lui seul de tout l’éclat du pouvoir royal; elle le place dans une situation où il est l’égal d’un roi et lui donne les moyens de tout oser; puis elle le somme, au bout de quatre ans, de prendre son chapeau et de s’en aller loger dans un hôtel garni. Elle le place entre le néant et l’usurpation, et elle s’étonne qu’il ne veuille pas le néant! Si M. de Broglie désire la révision, c’est pour que ces conditions de l’élection du président soient changées. Toute cette partie de la constitution est extravagante. Quand le résultat arrivera, M. de Broglie est décidé à résister, bien qu’il trouve ridicule de se draper d’avance comme un Brutus; mais ne vaut-il pas mieux l’éviter en corrigeant les vices de la constitution qui ont amené cette triste situation? »

Ceci se passait le 28 juin 1851. La proposition de révision réunit dans l’assemblée la majorité, mais elle n’obtint pas les trois quarts des voix exigés par la constitution. Le 2 décembre suivant éclata le coup d’état que M. de Broglie avait prévu. Comme il l’avait annoncé, il prit parti pour la résistance, quoiqu’il ne se fît aucune illusion ; il était, malgré son âge, du nombre des représentans qui se réunirent à la mairie du 10e arrondissement pour soutenir la lutte, et qui furent arrêtés par la force armée. Ainsi finit sa vie politique; il avait soixante-six ans.